Full text of "Recueil"
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RECUEIL
A PARTS
M. OCG. LX.
C5F
113
RELATION
VERITABLE
De ce qui s'efi pajjé au Procès du Ma*
réchal de Marillac.
f^RÉs que le Maréchal de
Marillac eue été arrêté pri-
onnier , en Piedmont en
_ l'année 4630. au mois de
Novembre, <^ de là conduit en France,
& mis premièrement au Château de
fainre Menehould & puis en la Citadelle
de Verdun , il y eut une Chambre éta-
blie dnns la ville, compofée de quatre
Maître des Requêtes, de deux Préfidens,
& douze Confei 11ers du Parlement de
Bou-'gogne par Commifilon du 15. Mai
IA31. pour lui faire & parfaire Ton Pro-
cès. Les Juges érans affemblés , & deux
d'entre eux commis pour l'in^ruélion;!
^ecudl O. A
^ ^ ^
après Ton interrogatoire , audition, &
confrontation de témoins , & plufieurs
pourfaites Se procédures faites tant à la
Requête du Procureur du Roi en la
Commifîlon , que du Maréchal , Arrêt
intervint qui le reçut à la preuve de Tes
faits juftificatifs : mais la Chambre ayant
enfuite été révoquée , & les Ju^es con-
gédiés , il fut quelque temps après tra-
duit de Verdun au château de Pontoifè,
& de-là au village de Rueil , ou il y eut
une nouvelle Chambre établie à même
lin , par autre Commiflion du 1 1. Mars
1652.. comporée partie des mêmes Ju-
ges , & partie d'autres fubftitués &■ ajou-
tés de nouveau jufques au nombre de
14, qui après leur féance prife, & le
rapport fait du Procès , ordonnèrent
que le Maréchal feroit oui.
Il fut donc mandé pour cet effet le
"Mercredi 2S^ jour d'Avril enfui vanc
dès les 6. heures du matin , heure à
laquelle les Juges s'étoient rendus à la
Chambre ( ce dont ayant eu avis par le
fleur Defreaux commis à fa garde) il
lui dit qu'ils n'avoient pas accoutumé
d'entrer fi matin , & que d'ordinaire ils
n'entroient qu'à huit heures , qu'il voyoit
bien que le temps était venu , où il de-
. <5) . ,
voit plus que iamais recourir à Dieu, &c
fe mettre à Tabri de fa proceclion , &
qu'il n'éroit point rcfolu d'y aller , quel-
que prefTe 6i quelque violence qu'on lui
fit , qu'auparavant il n'eût oui la MeUe
6c fortifié ion ame , dans ce befoin, de la
fainte Communion.
Cela lui ayant été permis , & après
avoir fait & achevé fes dévotions dans
une grande liberté d'efprit, il fe rendit
fur les huit heures en la Chambre, &
à l'entrée falua tous Ces Juges avec un
grand refpeâ: , & Monfieur le Garde des
Sceaux lui ayant montré la lellete pour
s'afTeoir dedus , on lui voulur faire prêter
le ferment i mais à peine eût-il tiré (on
gani à demi , qu'à l'indant s'étant ravifé
éc l'ayant remis, il commença d'une
voix alTurée, & d'une contenance grave
Se tranquille , à leur dire :
Que dès long-temps il avoir appris
l'honneur qui étoit dû à une telle & G.
célèbre Compagnie , compofée de per-
fonnes , dont la plupart étoienc de très-
grand mérite , mais que Dieu lui ayant
fait la grâce d'être né Gentilhomme .du
relTort du Parlement de Paris, & le Rei
l'honneur de le faire Officier de fa Cou-
ronne , il les prioic de Texcufer s'il ne
Ajj
(f5
les pouvoit reconnoître pour Tes Juges
naturels ni les honorer en cette qualité,
cnfuite des proteftations qu'il avoir fai-
tes auparavant ôc qu'il réitéroic de nou-
veau.
Qu'outre cela il avoit propofé contre
eux plufieurs récufations tant générales
que particulières, qu'il les fupplioit d'at-
tribuer plutôt au jufle intérêt de fa con-
fervation & de fa défenfe » qu'au defîr de
les ofFenfer^ n'approuvant que les véri-
tables , & non pas celles dont il pour-
roit avoir été furpris , par queiques
mémoires , même envers Monfieur de
Bretagne , non qu'à la vérité il n'eût
d'ailleurs trop de raifons de l'avoir pour
fufpeét , mais parce que naturellement
il étoit ennemi de toutes fortes d'inju-
res 5i d'impoftures , ôc qu'il ne rougiiïoit
pas de prier encore une fois ledit fieur
de Bretagne de les lui pardonner & de
les oublier.
Et quant à vous, dit- il, Mon/îeur
( adreffant la voix à M. le Garde des
Sceaux ) y a-t-ii perfonne en cette Com-
pagnie qui mieux que moi connoilTe
votre nailTance , votre mérite , votre
capacité & votre courage j & même je
yous puis dire avoir eu des amitiés parr
C 5 )
ikulicres avec plufieurs de votre maî-
fon ; je veux croire que la puilTante con-
juration de mes ennemis , que vous
connoitTez bien , & que je n'ofe nommer,
plutôt que votre volonté propre, vous
fait préfider en cette Compagnie-, je fçai
que vous y avez des furveillans qui éclai-
rent vos adions. Mais quand d'ailleurs
je viens à confidérer cette afFedation
fans exemple, ce choix inaccoutumé des
Juges & ces difpenres extraordinaire-
ment obtenues fans néceffité , pardon-
nez-moi Cl je vous dis qu'un Ange même
defcendu du Ciel & fournis à vos juge-
mens , s'il étoit fufceptible d'une im-
preilîon de crainte , auroit fujec d'appré-
hender de la contrainre & de la violence
dans les opinions , fi ce n'eft de votre
part, du moins de celle de l'autorité de .
votre charge.
Pour vous , Monfieur de BuUon^ vous
fçavez outre ce que j'ai déjà dit par
Requête, que j'aurois encore quantité de
chofes à repréfenter & à dire ici de
vive voix : mais que fetviroit ce vain
effort contre l'artificieufe cabale de mes
ennemis î Puifque je ne fuis point écouté ,
ce feroit les irriter davantage , & vous
& eux contre moi.
A ji]
(6)
Qaant à Chafielet , j*at horreur ,
Meilleurs , de le voir affis parmi une /î
honorable Compagnie fur ces fleurs de
lys , &c qu'il ait pouvoir & main levée
fur ma vie & fur mon honneur. Quand
bien je n'aurois autre chofe à lui repro-
cher que cette infâme profe dont il eft:
l'auteur ; où s'étant mocqué de Dieu ôc
de TEglife, ayant injurié les cendres
d'un perfciinage d'éminente qualité &
fainteîé de vie , de qui la mémoire eft
en l'éternité , offenfé les vivans , les
Princes & autres perfonnes de rare mé-
rite , il ne faut pas s'étonner s'il a ca-
lomnié impudemment Monfieur de Ma-
TiHac mon frère , dz m'a rangé au nom-
bre des pendarts , fufpendatur ance
nirbas y dignes paroles de fa rage &
de fa pa(Tîon : 6c toutes fois après s'en
être vanté publiquement en préfence de
perfonnes illuftres , & l'avoir confelTé
n'^.cme à quelques-uns de vous, Mef-
iîeurs , dont j'interpelle & prends les
confciences à témoin , il a été fi perfide
& (1 défefpéré de le nier par un lâche
parjure devant la facrée perfonne de Sa
Majefté. Mais cependant, Ç\ dans cette
oppreffion , il faut qu'il foit mon Juge,
j'efpére que Dieu fera miracle en fa
^7) ,
perfonne, & que mali^ré les fêntîmens
que j'en dois avoir , & qui font fondés
fur Tes Témoignages, il changera Ton n^au-
vais deffein , ôc convertira la fureur en
modération.
Et en continuant Ces jufles plaintes ,
après avoir déduit toute la violence ap-
portée en l'inftruétion cc aux formalités
de (on Procès , en rinformntion faite
par les fîeurs de Moricq ik. LaQemas ,
par fubornations , menaces (S: emprifon-
nemenc de quelques témoins, rejet de
ceux qui parloient à fa décharge , alté-
ration & dégnifement de la dépofitîon
de quelques autres , de la cafTation de
l'Arrêt de !a Chambre icanre à Verdun
(choie inouie & (ans exemph^,) par le-
q iel Arrêt i! avoir été reça à la preuve
de fes fiiits juflii-jcatiFs , ch3ns,emea£ de
Juges & de lieu, il fe plaignit de Ten-
lévement de fes papiers fait fans ordre,
fans compte & fans inventaire par lef-
diîs fienrs de Moricq Se Lajjenms & le
Chevalier du Guet tant à Verdun qu'en
la vi'le de Paris , 8^; de ce qu'ils avoient
été fouillés, interceptés, & la plûparr
d'iceux fouftraits , notamment tous ceux
qui fèrvoient à fa juftifîcation Ôc à fa
décharge , comme lettres , mémoires en
A iy
bon nombre tant de la part du Roi &
de fa main propre , portant Tes ordres ,
que de celles de Tes Minidres en Ton
nom.
Il repréfenta de plus les devoirs oii
feue la Dsme Maréchale fa femme s'étoit
mife pour avoir accès auprès du Roi ,
par le moyen & la permiffion de M. le
Cardinal de Richelieu j les vertus de
laquelle connues, dit -il, de toute la
Cour & fa naiffauce, puifqu'elle portoit
Taugufte nom, & les armes de !a Reiiie
mère du Roi , avoient du provoquer Tes
plus irréconciliables ennemis à un trai-
tement honnête & civil , s'il fe fur trou-
vé en eux quelque fentiment d'huma-
nité , vu même que dans le réfumé de
Ton Procès il n'étoit prévenu du moin-
dre foupçon de félonie envers Ton Prince,
qu'au contraire il l'avoir toujours fervi
avec fincérité & fidélité , & que tout ce
dont on l'accufoit confiftoit en faits fi
peu confidérables qu'on les pouvoir ob-
jefter à quiconque auroit eu le moindre
commandement dans les armées , ôc
néanmoins que la défunte avoir été in-
humainement rebutée , exilée , & plus
cruellement traitée qu'en pleine Barbarie,
puifqu'elle avoit été contrainte de fe
retirer en un village , dans une mailon
empruntée, où elle étoit morte de dé-
plaifir, & prefque fans fecours.
Et pour conclufion il ajouta ces mors.
Je ne me préfente pas ici , Monfieur ,
pour défendre ma vie , qui , en Tétat Ôc
en l'âge où je fuis , m'eft plus à charge
qu'à fouhait. Je l'ai trop de fois bazar-
dée à la vue &C aux yeux de mon Roi
pour craindre maintenant la mort , que
j'affronterai courageufement en quelle
manière & de quelle part que Dieu maf
l'envoyé , étant tout relégué à fa divine
providence , à la difpofition de qui je
me fuis entièrement fournis. Je ne cher-
che qu'à garantir mon honneur Ôc ma
réputation par une jufte défenfe contre
la violence & la calomnie de mes enne-
mis, & afin que je puilTe rendre entre
les mains de Sa Majellé,fi elle le défire
ainfi, fans tache & fans macule , ce fort
bâton de fleurs de Lys , dont elle a
marqué l'innocence de mes adions paf-
fées , de dont elle a honoré le zèle & la
fidélité que j'ai toujours eu à fon fer-
vice.
Ce difcours achevé , il préfenta la Re-
quête de récufation générale , fondée
fur les défams de vérifîcaiioB de ceit«
f ÎO )
Chambre de Rueil en une Cour fouve-
raine , atrendu que celle de Verdun avoir
été vérifiée au Parlemenr de Bourgogne ,
& requit d'y erre fait droit : (ur quoi
îl fut arrête que Procès-verbal feroit fait
par ouatre de 1j Compagnie qui furenc
les fieurs Paris Se FiUemourcé îv^aîrres
des requêtes , Catherine & FiotConfeil-
]ers de Dijon, & le lendemain 19. in-
terviiu Arrêt du Conieil , par lequel il
fut débouté de la Requête de récufation
générale & de routes autres caufes de
récufation par lui propofées & à propo-
fer ; & fans y avoir égard , il fut ordon-
né quil répondroit, autrement qu'il fe-
roit pafTé outre au jugement du Procès.
Le Vendredi 50. il fut derechef
mandé à la Chambre , où l'on commença
à l'ouir & à l'interroger fur quelques
chefs de foo accufaricn.
Le Samedi premier jour de Mai les
Juges n'entrèrent point, parce que c'étole
la Fcre de fainr Jacques Si fainr Philip-
pe, & ne s'aiïemb'erent que le Lundi
fuivant 3. du mois , où il fur encore
mandé & interrogé , comme il le fut
aufï) le lendemain Mardi 4. pour la der-
nière fois : mais parce qu'il croit accnfé
de pîurieurs faits, fur la plupart de fi^Uicls
on ne voulut pas rexaminer à delfein,
de peur qu'il ne juftifiât foii innocence,
comme il l'eût pu facilement s'il en eût
eu le temps &: la permiffion , il fupplia
les Juges de ne point décider (on Procès
qu'on ne l'eût pleinement oui fur les
faits qui y écoient contenus.
Pendant 6c depuis le temps que com-
mença & dura fbn interrogatoire, il fuc
privé de la communication de Ton Con-
tbil , & il ne lui fut pas permis de voir qui
que ce fut, encore qu'en cette extrémité
il en eût plus de befoin que jamais.
Le Mercredi j. les Juges avant que
d'entrer aux opinions, qyi dévoient com-
mencer par lesfieurs de Moricq Se Bre-
tagne Tes Rapporteurs , firent une réca-
pitulation du Procès i & comme depuis
quelques jours le fieur du Châtekt avoic
dit certaines paroles qui faifoient appa-
renmient connoître que les récufations
qui avoienc été propofées contre lui
éfoient véritables , 6c qu'il ne pouvoir
être Juge du Maréchal , cela donna fujcc
à Ton Confeil & à Tes parens , de pré-
fènter à la Chambre una requête contre
hii contenant ces nouvelles caufes de
récufarion, comme inimitié publique ,:
èii(\t de vengeance contre le Maréchal,
A 7}
& Monfieur de Mariilac ci-devant Gar-
de des Sceaux Ton frère, & aveu d'avoir
fait & compofé la profe impie dont on
le foupçonnoic au temps ; mais parce
qu'on ne communiquoit plus avec le
Maréchal , & qu'on ne lui pouvoir faire
figner cette requête , ceux de Ton Confeil
s'aviferenc d'en préfenter une autre en
leur nom, fignée d'eux & de deux de
ies plus proches parens, par laquelle ils
demandoient que la précédente , conte-
nant les nouvelles réeufations contre le
iîeur du Châtelet , fût portée au Mare-
chai pour la figner , ou qu'elle fût reçue
en la forme qu^elle étoic & fignée
d'eux.
Ces deux requêtes attachées enfembla
furent donc repréfentées le Jeudi 6. du
mois de Mai à l'entrée de la Chambre ,
& mifes entre les mains des fieurs de
Mortcq de de Breuigne Rapporteurs du
Proccs, qui en firent leur rapport , tous
les Juges en ayant éré avertis par les
parens. Comme on vint à opiner defTus.
tous Us Juges dirent qu'enfuite du
dernier Arrêt rendu au Confeil , qui
avoit débouté le Maréchal de Mariilac
des réeufations par lui propofces , Sa
îfiûjeflé avoii fait fçavoir à la Gompagi.ic
que l'on n^eut plus à recevoir cîe requê-
tes de récufation , arrendu que par cette
>oie il ne tendoit qu'à prolonger &C
empêcher la fin du jugement de Ton Pro-
cès, ôc par corjféquenc qu'elle ne pou-
voit être reçue. D'autres dirent que pour
délibérer fur cette requête , & (î elle
étoit admifTible ou non , qu'il étoit né-
cefTaire & raifonnable que le fieur du
Châtelet s'abftînt d'y être prêtent & qu'il
fe levât de fa place , cela le regardant &
n'y devant aiîîfter. Le fieur du Châtelet
infifta au contraire, & dit qu'il ne pou-
voit quitter fa place & qu'il n'y étoit
point obligé ; fur quoi il y eut diverfes
conteftations , & après plufieurs avis ,
cette requête fut renvoyée au Roi pour
en être délibéré en fon Confeiî , & le
même jour après midi M. le Garde des
Sceaux avec quelques-uns des Juges &
le fieur du Châtelet allèrent à S. Ger«
main , où le Roi ayant fait alTembler ^dxï
Confeil, Ui requête fut rapporrée en fa
préfence par le fieur de Law^on Maître
des requêtes qui avoir déjà rapporté
les autres , & ie fieur du. Châtelet oui
fur les faits qu'elle contenoir j m.nis if
n'y eue point d'Arrêt donné, & à riffuë
du Confeil le fieur du Châtda étans
( H )
alîé chez M. la Cardinal ^mw Exempt cîef
Gardes l'arrêta & le mena priTonnier aa
Châreau de Noify , d'où il fut depuis
conduit au Château de Tours. Et dès-
lors le Roi commanda de pafTer outre
au jugement du Procès, fans plus rece-
voir aucunes requêtes de récufation , aind
que Sa Majefté l'avoit déjà ordonné par
fon dernier Arrêt.
Le Vendredi 7. les Juges entrèrent
à la Chambre à 5. heures & demie du
matin , & commencèrent à ouvrir les
opinions : les premiers furent celles des
deux Rapporteurs & des fieurs Prévôt
d'Herheley & Taris Maîtres des requêtes
qui lors tinrent jufques à une heure &
demie après midi.
Le Samedi S. les Juges étant entrés
dès les 5. heures du matin, le Maréchal
voyant qu'on l'avoit privé de Confeil,
3I leur fît préfenter une requête par le
fîeur Defreanx j qu'il écrivit & figna de
fa main, par laquelle il demandoit d'être
encore oui de nouveau : mais ils la re-
fuferenr , & continuèrent à opiner juf-
que fur les cinq heures du foir qu'ils
donnèrent Arrêt de condamnation qui
Re paiïa que d une voix à compter félon
la forme des Jngemens criminels ;^ piree
(.5>
cjae de vingt-trois Juges qu'iîs étoienfj»>
il y en eut treize qui opinèrent à la
more, fçavoir , Monlîeur le Garde des-
Sceaux y Billion y Lebret Conieiliers d'E-
tat , Moricq y. Paris j Prévôi dJîerbeley
& à'ArgenJon Maîtres des requêresj^ott-
chii Préfident, Bretaigne ^ Catherine ^,
Brenegal^ Degaud &: /cîcoZ' Confeiliers
en Bourgogne , contre la plupart 6eÇ-
quels il y avoir eu caufes de récufatioa
propolées, kc foûtenues de grandes rai-
fons , même d'inimitié ouverte & décla»
rce long- temps : les autres dix, fçavoic
Mefîîeurs de Mefmon y Barillon , Villes-
montée Maîtres des requêtes , Barbin y,
Laifné y Fiot ^ Frémiat y Bernardon j^
Montijay & Machecot Confei 11ers , opi-
nèrent pour la vie, & même à l'abro-
lution , ou pour le moins à peines fi lé-
gères , que tacitenient elle ruppofoir
une décharge en faveur de l'acculé.
Dès que les avis furent recueillis &C
l'Arrêt ré'blu , Monfieur le Garde des
Sceaux Ht enr er dans la Chambre Picot ,
£xempt du Grand Prévôt qui eil ordi-
nairement à (a r^ire , & lui commanda-
d'aller à S. Germain pour en porre-r da-
fa part la nouvelle au Roi , & pouc-
f^a^Qir en quel lieu il défiroic qiis. l'eiié.^
( lO
cution fe fit , pour l'inférer dans VAr-
rêt , où on l'avoic laifTé en blanc ; &
après qu'il eut appris de S. M. , qu'elle
vouloir que l'exécution Ce fît à Paris en
Place de Grève, il s'en retourna à Rueil
incontinent pour le dire à Monfieur le
Garde des Sceaux ,qui fit auffi-rôt rem-
plir l'Arrêt du lieu où l'exécution fe de-
voir faire.
Ce jour là te Maréchal ne fçut rien
de fon Arrêt , parce que dès le matin le
fîeur Dtfreaux avoir eu ordre du Roi , ,
par Lettres écrites de fa main , de ne
lai (Ter entrer au Château qu'un homme
feul pour y apporter les vivres , & fit
croire au Maréchal que fes Juges n'a-
voient pas achevé de juger fon Procès,
& que ce feroit pour le Lundi enfui-
vant.
A peine les parens avoienr-ils fçu que
TArrêt étoit donné , qu'à l'inftant ils s'en
allèrent au galop à S. Germain, &c y ar-
rivèrent prefqu'aufil - tôt que Picot
l'Exempt , & ayant fait rencontre de
MonHeur le Maréchal de Scomherg qui
(brtoit du Château , Tun d'eux , fçavoir
le Baron à.tVandy yWtvtw du Maréchal,
lui dit la nouvelle de l'Arrêt , & le
fupplia , comme celui qu'il avoit îoii-
( 17 )^
)ours eftimc lui être très- aifedionné,
d'intercéder envers le Roi pour obtenir
fa grâce & pour le flécKir à la miféri-
corde : à quoi Monfieur de Scomberg
reparnr qu'il étoic extrêmement fâché
de cette condamnation, & encore plus
d'êcre hors de pouvoir de les y fervir ,
qu'il n'avoir autre chofe à leur dire dans
cette impuilTànce, fi non qu'ils s'adref-
{àflent au Roi.
De là ils furent trouver Monfieur le
Cardinal qui fe promenoir dans les jar-
dins du Château , & le fieur de Vandy
J'ayant approché & portant la parole ,
lui dit que le malheur de Monfieur le
Maréchal àe MarilUc ayant été qu'il fût
condamné à la more , ils venoient le fup-
plier très- humblement de les afîlfter de
fa faveur & de (on intercefïïon envers
le Roi, pour lui faire grâce & pour avoir
pitié de lui , qu'ils s'adreiToient à lui
comme à celui qui pouvoir le plus fur
TeTprit de Sa Majefté. A ces paroles,
Monfieur le Cardinal , comme fe trou-
vant furpris de cette nouvelle & comme
s*il neùi pas fçu certainement de Picot
Exempt ce qui étoit porté par l'Arrêt ,
vous m'apprenea, M€(Iîeurs> dit-il, ce
que je ne fçavois pas ; ie fuis bien facile
que le Maréchal de Marillac fe (oit mis
en cet érat & par fa faute , voyez le Roi ,
il eft bon ; à quoi le fienr de P^andy ré-
pliqua, Monfeigneur, ne nous accor-
derez-vous pas la faveur d'en parler au
Roi & intercéder pour Monfieur le Ma-
réchal > Il leur répondit feulement, Js
vous ai dit que vous vifliez îe Roi.
Pendant ce temps là le (ïeur de Bré-
com neveu , les Dames de Vandy ôi de
Bijcarat nièces , de faine Léger couHne
du Maréchal , & quelques autres vinrent
fur le foir de Rueil à S. Germain, & tous
enlemWe fe préfencerent pour parler au
Roi à l'heure de fon fouper; maisTHuif-
iîer de la porte lui ayant dit qn il avoit
ordre de ne point laifTer entrer les fem-
mes, il ne vonlur jamais permettre qu'el-
les yentraffènt; il n'y eut que les hom-
mes qui eurent cette permiflîon , &
encore en petit nombre , & comme ils
appe'"çurent îe Roi venant pour fe met-
tre à table , fe jetterent à fes genoux la
larme à l'œil, & avec une contenance
capible d'émouvoir à la compafHon Se
à la pitié , lui demandèrent grâce &
pardon pour le Maréchal de Marillac,
qui venoit d'être condamné à mnrr »
fuppliant Sa Majefté de lui faire reffentir
des effets de (a clémence en cette adion
de juftice , & qu'elle lui feroic paroîrre
d'autant plus grande , qu'elle lui rendroic
la vie qui étoic maintenant entre Tes
mains & qu'il avoit tant de fois expofée
pour fon fervice. Je verrai ce que j'au-
rai à faire , dit le Roi , cependant re-
tirez - vous : avec cetre réponfe ils fe
retirèrent obéiiïans au commandement
de Sa Majefté , & il ne fut permis de dire
ni de rien faire le refte de ce jour.
Le lendemain Dimanche 9. du mois
de Mai , le fleur de Vandy avec les
autres parens , furenr encore trouver
Monheur le Maréchal ce Scoraberg pour
le prier uns féconde fois de leur être
favorable ; mais ils le trouvèrent fî peu
difpofé à cela , que fans l'importuner
davantage, ils allèrent chez Monfieur
le Cardinal, où avec de très- grandes
difïicultcs, à peine purent-ils feule renc
fe gltifer dans l'anti-chambre , (î bien
qu'il fembloit qu*à defiein on eût mis
ordre que l'entrée fût fermée de tous
côtés j néanmoins Monfieur le Cardinal
fortant pour aller chez le Roi , ils fe pfé-
fenierenc> & s'humiliant & s'abaiflaas
( io )
devant lui , il leur dit d'abord : Hé bien ;
Mefîîeurs , avez-vous vu le Roi ? Le fîeur
de Vandy lui ayanc répondu qu'oui , Hc
que Sa JMajefté ne leur avoit dit autre
chofe , finon qu'elle aviferoit à ce qu'elle
auroit à faire, & cependant qu'ils/e re-
tiraiïenr. Jevousconfeille, répliqua Mon»
/leur le Cardinal, d'obéir au Roi. Et fur
ce qu'un d'entr'eux , nommé le fieur
d'Incaville lui dit , au moins , Moniteur ,
nous vous fupplions très- humblement
de vouloir en notre abfence intercéder
envers le Roi pour Monfieur de Maril-
lac, & de difpofer Sa Majefté à lui ac-
corder Ja miféricorde que nous vous
demandons pour lui. Il leur répartit d'un
ton aigre & comme en colère , je vous
avois confeillé de vous retirer puifque
le Roi vous l'avoit dit , mais mainte-
nant je vous le commande de la part
du Roi ; & ainfi voyant le falut du
Maréchal défèfperé, & qu'ils ne pou-
voient obtenir fa grâce, cedans au temps
& acquiefçans à la volonté du Roi, ils
revinrent à Paris,
Ce jour même on donna l'ordre au
fieur Defreaux défaire partir le Maré-
chal le lendemain matin qui éroii le
Lundi I o. de Mai , S>c on écrivit uti
(il )
ordre au Chevalier du Guet pour l'exé-
cution de TArrêt, avec des Lettres de
Cachet envoyées & adreflfées aux Pré-
vôts des Marchands & Echevjns de la
ville de Paris, Lieutenans Civil & Cri-
minel & Procureur du Roi du Châtelet
pour affirter à la prononciacion & exécu-
tion de l'Arrêt,
Le Dimanche donc fur le Colr » le
fieur Defreaiix dir au Maréchal qu'il
avoir commandement du Roi de le faire
partir le Lundi pour aller où il en auroic
l'ordre de Sa Majefté. Vous m'aviez
afîùréjditle Maréchal , que mon Procès
ne (è jugeroit que demain ; mais pui(^
qu'il faut partir , que deviendront mes
Juges ? Il lui demanda enfuice s'il le
menoic à la Baftille ou au Bois de Vin-
cennes. Je le crois ainfi, repartit le fieur
Defreçiux ; ce qui donna fujet au Ma-
réchal de difpofer des le foir de quel-
ques hardes inutiles qu'il avoit, & de
les donner à diverfes perfonnes :il foupa
enfuite & fe coucha fui: les 1 1. heures ,
& le lendemain Lundi lo. il fe leva à
4. heures du matin & entendit la MeHè
fur les 5. heures. Quelque temps après
le fieur Defreaux entrant dans fa cham-
bre le trouva qui çcrivoit j & fitôt que
îe Maréchal Tapperçut , il lui dit : Hc
bien , Monfieur , faut-il partir ? j'achève
mon teftament s'il vous plaît le voir.
Monfieur , vous avez encore demi-
heure,répondit ie (leur Defreaux , je vous
confeille de déjeuner. Déjeuner! repHqua-
t'il , je fuis fâché que vous ne me l'ayez
pas dit plutôt , parce que j'eufife com-
munié à la MefTe , & je voudrois bien
attendre à manger au lieu où nous al-
lons. Cela efl; incertain , die le fieur Def-
reaux ^ & vous feriez peut-être trop long-
temps fans prendre quelque chofe , je
fuis d'avis que vous déjeuniez. Il prie
un bouillon & mangea deux ccufr.
La Compagnie des Chevaux-légers du
Roi s'étoit rendue dès le jour devant
Rueil 5 d'où on le iît partit fur les (èpt
heures du matin & entrer dans le carollè
du Chevalier du Guet oà trois de fes
Gardes fe mirent avec lui , les portiè-
res du carofle abbatues , mais entr'ou-
vertes pour lui donner de l'air. En en-
trant comme il apperçut que ce n'étoic
|)oint un carolTe du Roi , dans lequel
on a coutume de tranfporter les prifon-
niers d'Etat d'un lieu en un autre , il
en prit un mauvais augure , & dit tout
haut : Voilà qui va mal pour moi. Le
long cla chemin il pria Dieu continuel-
lement élevant ion efpric & Tes yeux au
Ciel & répétant à diverfes fois le Pf. L.
Mijerere mci , Deus. qu'il fembloit pro-
noncer avec un grand fentiment de dé-
votion f accompagné d'une ferveur ex-
traordinaire, que les Gardes remarquè-
rent au ton de la voix & à fa conte-
nance.
L'ordre en marchant fut qu'une partie
des Chevaux-légers alloient devant l'ef-
couade d'une Compagnie du Régiment
des Gardes qui le gardoit au Château
de Rueil , le carolTe après , & derrière
le fieur Defreaux & Gargant Ton Exempt
avec leîrefte des Chevaux-légers. En cet
ordre ils arrivèrent au Roulle , où les
attendoient deux Compagnies du même
Résiment des Gardes , dont l'une fe mit
autour & au devant du carofle après la
première troupe de Chevaux-légers qui
marchoit en tête, & l'autre Compagnie
derrière le carofTe , avec la troupe de
Chevaux-légers qui venoit enfuite ; &
continuant leur chemin fans s'arrêter ,
ils vinrent à Paris : ce que le Maré-
chal ayant reconnu , il dit tout haut ,
Ç\ Ton me menoit à la BafliUe ou au
Bois de Vincennes , on prendroit le che-
îTJÎnde dehors la ville, mais Je vois bien
qu'on me mené à la Conciergerie & de
]â en Crève, Se dit enfuite les verfets
Miferere m€Î^ Deus^Si Cor mundum créa
in me , Deus. Comme il alloit du Roulle
à Paris, il donna quelques aumônes aux
pauvres qui fuivoient le caro(Tè en fî
grand nombre qu'on fut contraint de
tes repoufler : arrivant près de la ville,
& le carofTe allant plus rudement qu'à
la campagne, voici beaucoup de pavé
pour le chemin de la Baftille , où fi l'on
me menoit , on auroir pris le long des
murs hors la ville. Etant entré par la
porte faint Honoré , & fe trouvant près
du logis de Monfieur le Cardinal, voilà
une mai Ton , dit-il en fe tournant, où
Ton m'a bien promis des chofès que l'on
ne me tient pas auiourd'hui : de la rue
faint Honoré on paffa par celle de la
Féronnerie , au bout de laouelle , ainfî
qu'on tournoit la tête des chevaux à
main droite, ii dit derechef, fî nous
allions à la Baftille on tourneroità gau»
che , mais je vois bien que nous allons
à la Conciergerie : palfant enfuite dans
la rue des Lombards , & lorfqu'on fut
aubotrt qui regarde vers faint Méderic,
teconnoiflant qu'on tournoit à la rue des
Arcis p
'Ards , je vols bien dit- il que nous quîc-
ions le chemin de la Baftille pour pren-
dre celui du Paradis , puifque nous allons
à i'Hotel de ville &C a la Grève.
Dès le matin on avoir tendu les
chaînes des avenues qui conduifoient à
la Grève, & la place étoic dès les 9.
heures & demi pleine de monde qui y
ctoit accouru fur le bruit qui s'ctbit ré-
pandu dans la ville que le Maréchal de
Marillac y devoir erre exécuté ce jour-
là, & dès la même heure , on avoir de-
vant la barrière qui eft: au perron de
l'entrée de la Mai(on de Ville , pofé un
corps de garde de loldats du Régiment
des Gardes , avec quelques Officiers
pour les commander , & en haye , le long
de l'eau une Compagnie deSuiiïes, les
autres trois cotés de la place furent bordés
des Compagnies Françoifes qui raccom-
pagnèrent, ordonnées pour (e trouver à
l'exécution.
Le Chevalier du Guet y éroit déjà
arrivé avec Tes Archers , & les deux
Pères Feuillans deftinés pour raflîfter
ôc pour l'exhorter à la mort, s'y étoienc
aufli rendus conduits par le fieur Jacob,
avec permiiîîon de Monfieur le Garde
des Sceaux d'entrer avec eux dans la
Recueil O. B
( z6)
T^ïaifon de Ville Se de parler au Maré-
chal. Leur entrée ne fut pas fans diffi-
culté Se jufquesà ce qu'on eut remarqué
le feing de M. le Garde des Sceaux ,
elle leur fut réfutée. Les fieurs Dupid
& Leclerc Dodeur de Sorbonne y étoient
devant eux , mandés par le Chevalier
du Guet pour le même fujet , qui ayant
apperçu les Pères Feuillans venus à
l'inftance & à îa demande des parens
furent fur le point de s'en retourner, fi
les Teres & le fieur Jacob qui les ap-
perçurent ne les eulTent prié de demeu-
rer avec eux puifqu ils étoient fur Is lieu ,
& que la confolation que le Maréchal en
rccevroic feroic d'autant plus grande
qu'ils feroient plus de perfonnes à lui
rendra ce dernier office, qui regardoit
la conduite de Ton arne dans le Ciel ,
ils furent donc retenus & ayant acquiefcé
à la prière qu'on leur fit, de. s'arrêter ,
Ja perte de la Chambre où ils étoient
fur fermée fur eux.
Sur les dix heures du matin , le Ma-
réchal arriva devant la Maifon de Ville
avec la Cavalerie & l'Infanterie qui le
conduifoient , au même ordre qu'ils
étoient partis du Roule, & entendant
le biuic confus du peuple qui s'y étoit
( 27 ) _
tomultuauement afiembic, il die à un
des Gardes, je vous prie de voir s*il y
a un échafïaut drelfé : non, Monlieur,
repartit-il , il n'y en a point. Le carode
s'étant arrêté auprès de la grande porte,
la Cavalerie s'en retourna , & Tlnfan-
terie s'alla ranger avec celle qui y étoit
déjà pour garder la place de Grève.
Ceux qui y étoient députes pour la con-
duite ayant fait faire place , le lleur
Defreaux mit pied à terre , Se ayant
fait approcher le carolTe conrre la bar-
rière, le fit ouvrir du cô:é de l'Hôtel
de Ville par un laquais qui abbatit la
portière; on tendit enfuite la main au
Maréchal qui d.^fcendit du carolfe, re-
vêtu de Ton manteau de deuil qu'il por-
toit retrouOe fous Ton coude.
En defcendant il dit au fieur Def-
reaux en fouriant gravement , eft - ce
donc ici le lieu où vous m'aviez dit
que l'on me menoit. On remarqua à fa
fortie une réfolution pleine de généro-
Ciié , en Ton port & en fa démarche ,
qu'il fit avec la même alTurance au milieu
des fqldats 5c des Gardes qu'il avoic à
Ces deux côtés , que s'il fut pafTé au tra-
vers pour y porter les ordres du com-
bat; il fut quelque temps à confidcrer
B ij
f i8)
h place, le peuple qui y étoît ," Se hs
Compagnies des Gardes, tant Françoifes
que des Suilfes qu'on y avoit fait venir ,
ëc en montant les dégrés de dehors pour
entrer dans la cour , tenant Ton chapeaa
à la main droite , & Tes Heures à la
main gauche , il falua & regarda hu-
mainement tous ceux qui étoicnt devant
ôc à côté de lui.
I,e Chevalier du Guet étoit derrière
la porte & au pied du grand degré , qui
l'attendoit pour le recevoir , &c ayant
un bâton de Commandement à la main,
le fieur Defreaux qui conduifoit le Ma-
réchal ne le voulut pas foiifFrir , & lui
die qu'il l'ôtat, n'ayant pas le pouvoir
de le porter ou étoient les Gardes du
Roi s & en effet il le lui ht lailfer: du
degré, on conduifit le Maréchal en une
des Chambres de derrière &: hors du
bruit. El'e avoit environ quelque ly.
pieds fur 18. nattée contre les murailles
& fur le carreau, & lapifTée d'une ra-
piflTerie de haute lilïè; contre une des
murailles , étoit une table couverte d'un
tapis , fur laquelle il y avoit une Croix
de criQal, &c vis-à-vis pendoit attaché
à la tapifTerie un petit tableau du Cru*
Dans cette Chambre , entrèrent avec:
lui les fieurs Prévôt des Marchands &c
Echevins , Lieutenant civil ôc criminel ,
par ordre du Roi & fuivant les Lettres
de Sa Majefté. A peine le Maréchal s'y
fut- il repofé quelque temps , comme
pour refpirer, que s'adre^Tant à ces Mef-
fieurs , il dit que c'étoit chofe étrange
de l'avoir pourfuivi comme on avoic
fait , ne s'agilfant dans touc le procès
que de foin , de paille , de pierre , de
bois oc de chaux , & qu'il n'y avoir pas
en tout cela de quoi faire fouetter ua
laquais j qu'il y avoir 40. ans qu'il fer-
voit deux Rois , le premier deiquels il
avoir fuivi continuellement ôc auprès
duquel il s'étoit trouvé en plufieurs ficges
& combats , à pied &c à cheval , qu'il
en portoit les marques honorables, qui
faifoient foi de la vérité & de la fidélité
de fon courage, qu'on les verroic loif.
qu'il feroit dépouillé, qu'il avoir encore
fervi le Roi (on fils en plufieurs occa-
fions importantes & périlleufes, com-
mandé Tes armées avec fa fatisfaâiion ,
témoignée publiquement par la propre
bouche de Sa Majefté en diverfes ren--
contres; qu'enfin il Tavoit honoré ds U
charge de Maréchal de France , qu'il
B iij
^ . , . ( 50 )
ûevoit véritablement cette promotion
glorieufe à fa bonté £<: à fa libéralité
Royale , mais que fes fervices avoienc
en quelque façon devancé cette recon-
îîoiiïance.
Qii'en ces 4©. années , il s'étoit bien
plus appauvri , qu*enrichî des biens de la
fortune , qu'il juroic , 6c pouvoit aflfu-
rément jurer en fa confcience qu'il s'en
falloir beaucoup qu,il eût à préfent ce
qu'il avoir quant il vint au fervice da
Roi 5 que comblé , comme il étoic de
dettes ôc de néccfiité , il n'y avoir aucune
apparence qu'on pût le convaincre du
crime de péculat , qu'à la vérité il avoic
été obligé pour faire fubfifter l'armée
qu'il avoir commandée en Champagne ,.
de faire quelque levée fur le peuple ,.
parce qu'autrement elle fe fut diffipée,,
& il lui eût été impofïîble de la main-
tenir en état ; mais qu'il ctoit autorifé
de bonnes Lettres du Roi qui lui en
donnoient le pouvoir , qu'il les avoit
produires pour fa juftification , fans ce-
pendant qu'on y ait eu aucun égard ^
répétant à difl'.'r entes fois, pcculat bon
Dieu! Bon Dieu péculat!
Comme il continuoit (on difcours , le
fîeur De/reaux s'avança & l'iiîterrom-
(31)
pit,di(ant: Monlleur , J'ai ordre ^
commandement du Roi de vous lai (Ter
ici entre les mains du Chevalier du Gner.
Voilà , lui répondit-il un horrible échan-
ge, mais puifqu'il plaît au Roi il faut
obéir , fa volonté foit faite. Le fient
Defreaux dit enfuite aux Gardes , Gar-
des du Roi, retirez-vous, vous n*avfz
plus que faire ici. Alors les Gardes s'ap-
prochèrent du Maréchal, lui firent une
profonde révérence , prirent congé de
lui la larme à l'csil & le coeur Ç\ atten-
dri & fi ferré de trifledë qu'ils ne
purenr prefque pas lui parler. Adieu mes
compagnons, dit il conftamment & cour-
loifement , je vous remercie du foin &
de la peine que vous avez prife pour
moi. Après ce compliment ils fe reri-
rerent , & le fieur Defreaux ne bougea
de la Chambre : à Tinftant le Chevalier
du Guet dit au Maréchal l'ordre qu'il
avoir pour la prononciation de fon Arrêt ,
& fit en même temps entrer le fi&ur
Fillotte Greffier de la commifîion pour
le lire ; le Maréchal ayant demandé ce
qu'il falloir faire, le Chevalier du Guet
lui dit que c'étoit la coutume de fe met-
tre à genoux pour l'entendre, il obéir;
^lais avant que de s'agenouiller il de-
B iy
( 5^ >
manda en fe^recà faire de l'eau , ce que
le Chevalier du Guet ayant apperçu,il
le lui fît repérer &c demander tout haut,
& cela fait, il fe mit à genoux contre
la table , ayant en face le tableau du
Crucifix, où la ledure de fon Arrêt lut
fut faite en ces mots.
Vu par la Chambre le procès e>tra-
©rdinairement fait à Aleffire Louis de
Mariilcic Maréchal de France accufé,
^c. & enfuire Tcnonciarian de quantité
de pièces, & entr'aiitres les commifîîons
données à fes Commiffaires , les Arrêts
du Confeiî donnés à Château- Thierry
& à Metz, qui calTent & annullent ceux
de la Cour du Parlement de Paris & de
la Chambre de Verdun , les autres qui
l'ont débouté de Tes caufès de récufa-
lions, & comme il les entendoit énon-
cer avec attention, il feroit de rhonneur
du Roi , dit- il , que ces pièces ne fufTent
point énoncées la dedans pour les vio-
lences & injudices qui ont été commifes
en exécution. Et à ces mots, lui oui, &
interrogé, &c. Je ne l'ai pas , dit- il, été
entièrement, mes Juges m'avcicnt promis
de m'entendre encore une fois , & je leur
ai prcfenté des Requêtes à cette En, jnais
ils les ont rejettées fans les vouloir coii-
fîdérer.
Entendanr encore ces autres mots , H
efi duement atteint Se convaincu du crime
de péculac , conçufîîons , contributions
ik levées par lui faites fur le peuple , &c.
il ne pur s'empêcher de dire dans un
jurte relTentimenc , cela efl: faux , je ne
le fus jamais , un homme de ma qualité
accufé de péculat ! & à ces mots, fes
biens acquis & confifqués au Roi , fuc
iceux préalablement pris la fomrae de
cent mille livres pour employer à la
reflitution , &c. mon bien , dit-il , ne les
vaut pas , on aura bien de la peine à les
trouver.
La leifture de l'Arrêt étant achevée
en la prcience de ces JMeffieurs, à qui
le Roi avoic commandé d'y aiïîfter ôc
de plufieurs autres perfonnes de qualité
qui s'étoient introduits dans la Cham-
bre , pour obferver de quel front &c de
quel courage il rccevroit les nouvelles
de (a mort , &: à qui il lailTa dans l'ame
de Tadmirarion pour ia confiance, de
la compaîlion pour le déplorable état
où il étoir réduit, &c de la furprife de
ce qu'il n'étoit point étonné en une oC"
calion oîî les plus alTurcs tremblent Si
B V
( 54 )
perdent radîctte & la fermeté du juge-^
nient j il baifa dcvorement la Croix ôc
dit avec une humble inclination de la
têre ; Mon Dieu , je vous rcfîgne mon
ame , mon corps e(l facrifié.
Ce fut alors que le fieur Defreaux qui
avoir oui fbn Arrêt j hn demanda de la
part du Roi dont il avoir mandement par
écrit, le bâton de Maréchal de France,
Mondeur , lui répondit il , je ne l'ai pas
ici , vous fçavez bien qu'il y a dix-huit
mois que je n'ai rien eu que vous n'ayez
connu , je vois bien que c'eft une céré-
monie qu*il faut obferver. Le Roi me le
donna & m'en mit le pouvoir enrre les
mains , les ayant teintes du fang de fes
ennemis, maituenanî je le lui rends d'une
façon bien plus fanglante ;, au moins*,
dit-il , Moiîfîeur , vous avez entendu par
mon Arrêt, que je ne (nis accufé d'au-
cun crime de Icze-Majefté, de félonie >
ni de Jcfervice contre le Roi & l'Etat,
c'eft cbofe horrible d'avoir trouvé des
Juges qui m'ayent condamné, puifque,
comme je vous ai déjà dit, il s'agit de
peu de chofe en tout mon procès.
Il demanda enfuire s'il ne pourroic
pas avoir uneMelfe pour y communier,
attendu que toute cette ccrcmoaie fa^
nefte arriva cîevant midi : Non Monueur
cela ne le peut , lui dit le Chevalier du
Guet , je n'ai point charge de vous en
fciire enten.lre. Mon Dieu, dic-il, que
ne m'a- 1 on averti de ceci plutôt , j'y
eulTe pourvu de bonne heure , j'ai bien
du regret de n*avoir pris le Viatique :
craignant qu'on ne lui voulût tout re-
fufetjil s'enquit (1 on ne lui accorderojt
pas des C onfefTeurs , le Chevalier du
Guet lui dit, qu'oui , de qu'il auroirceux
que (es parens avoient demandé : il lui
dit enfuire , Monfieur , voila l'exécuteur.
Hé bien, Mondeur, que faut- il faire
lui répartit le Maréchal, regardant avec
un fouris cet homme qui croit près de
lui , fe tournant enfuite vers la compa-
gnie avec le même vifage, il efl: dit-il
prefTé de faire fon crfice , Ôc lui adref-
fanc la parole , mon ami, lui dit-il dou-
cement, faites ce que vous voudrez ,
mon heure efl: venue.
En même temps l'exccurcur lui ôta
fon manteau & fon chapeau , & le vou-
lant lier, le Maréchal dit au Chevalier
du Guet, je voudrois bien avoir la per-
milîîcn de n'être point lié: c'eft l'ordre»
îui répartie l'autre , J'en ai le comman-
ieraent exprès dans ma poche. Les autres
B v|
de ma csnJition , lui répliqua le Maré-
chal ne l'ont point été , mais il faut ohéic
jufqu'au bout , Se préfenrant les deux
mains à rExécureur il le lia , mais com-
me il le (erroit trop fort , mon ami &
dit- il , vous me fastes mal, contentez-
vous de faire votre affice, ce qui l'obli-
gea de relâcher un peu les cordes donc
il Tavoit ferré. En cette pitoyable poC-
sure , Te regardant lié, il dit comme ea
fouriaijt , je vous afTure, MfOîeurs, que
quand je me conlïdére en cet état, je
me fais prefque pitié à moi-mcme , je
ne fçai li je n'en fais point aux autres,
Monfieur le Chevalier du Guet, ne vousr
en fais-je point , j'ai très grand regret
lui répondit l'autre de vous voir réd-iis;
en h mauvais érar. Ayez en regret pouc
ie Roi ôc non pour înoi répondit le
Maréchal: ctiï pour vou<> , Monfieur»
& non pour le Roi, lut dit le Cheva-
lier du Guet , parce que le Roi ne faiç
qu« jifflice :. je le fçai bien , dit le Ma-
réchal, Se (uis très aOTuré que les inten-
tions du Roi font bonnes , mais mes
ennemis m'ont noirci de crimes auprès
de lui , dont je n'ai jamais été coupable
ni capable : Dieu le fçair , Se m'en eft
lémoiiis ils aux abufé de l'autorité 4«
( Î7 >
Ton nom Se de fa bonré pour me mettre
& pour me réduire an point ou je fuis.
Je leur pardonne de tout mon coeur ;
la mort qu'ils me font foiiffrir, j'avoue
à ma confulîon , l'avoir bien mérité de-
vant le Tribunal de Dieu pour mes pé-
chés. Mais à conFeiler ingénument le
vrai en un état où je ne voudrois , ôc ne
dois mentir ^e ne l'ai pas méritée devant
les hommes pour les crimes dont on
m'accufe , ôc je fuis obligé de le dire
pour publier, &: faire connoître mon
innocence; cette raifon efl: bien juRe &:
cerre défenfe, ce me femble, naturelle.
Sur cela v.n des Echevins fut à la cham-
bre , ou l'on avoir enfermé ceux qui le
dévoient conroler,qui étoient: les Pères
D. Euftache de faint Paul , affiftant du
Général de TOttire des Feuillans , &
D. Jean de fainte Marte Prieur de leur
Monaftère à Paris, & les fieurs DnpuI
&.' Leclerc Dofftenrs de Sorbonne. Il prie
avec lui les deux. Pères Feuillans , & les
mena à la chambre où croit le Ma-
rcchal , qu'ils Trouvèrent lié fans man-
teau & fans chapeau. Auûfi-tôt qu'ils,
eurent mis le pied dans la chambre , le
Maréchal appercevant le Pcre D. Eufta-
che qu'il com:iQi(Tbi: de Icngue-rnain ?
s'avança trois ou quatre pas vers le com-
de la chambre où il étoit, &: s'abailTant
pour le faluer, lui dit, mon Père, vous
me voyez en un état ou j'ai bon befoin
de votre affiftance & de votre confo-
lation , cela dit il le prit par la main 8c
fe mit au Heu d'où il étoit parti.
Et après avoir quelque tems conféré
avec lui, il préfenta Ton trament qu'il
tenait à la main , 6c demanda qu'on fit
venir des témoins pour y figner : Le
Chevalier du Guet s*approchanr le lui
refufa , & lui offrit cependant de faire
retenir par le Greffier telle déclaration
qu'il voudroit faire & même qu'il pré-
fenreroit Ton reftament s'il le lui vouîoïc
donner. Le Maréchal répondit qu'il le
vouloir mettre entre les mains de Ton
Ccnfedeur, & qu'en le confiant à d'au-
îres perfonnes , il n'étoit pas fur qu'il
fût confervé ; il y eut far ce fujet une
petite conreftation entre eux deux. Le
Maréchal ne voulant remettre Ton tefta-
ment qu'entre les mains de Ton Confef^
leur , & le Chevalier du Guet au con-
traire le dcpofer es mains du Greffier:
enfin le Chevalier du Guet dit qu'il ne
permetrroir point autre chofe , que de.?
perfonnes dans un pareil état que celui
où \\ étoit ne pouvoieiit faire de rclra-
ment que fons le bon phiifir du Roi &
nue s'il ctoic dans ce delTcin , qu'il fal-
loir le délivrer au Greffier qui Te char-
geroit de le lui préfemer de fa parr. ^
Le Maréchal voyanr qu'il falloir cé-
der à la nécedité jetra fon reftamenr iur
la rable en difanr , que le Greffier vien-
ne donc pour le prendre , je ne (cavois pas
la coûrume: il eft bien vrai pourrane
que je l'avois fair auparavanr , & com-
mencé à fainre Ménéhoud & à Verdun >
mais je ne l'ai achevé que ce matin à
Rueil, d'où il eft datte.
Pendant tout ce difcours, l'Exécuteur
croit à l'enrour de lui , & dans la con-
fiance où il étoit qu'il eût fur lui quel-
que ehofe de valeur , il lui répétoit fans
ce(^e de le lui donner à garder , que
c étoit la coutume de le lui rcnuttre en-
tre les mr.ins, & qu'il le conferveroir
bien , & quoi qu'il redit ces paroles
avec beaucoup d'importunité , jufques
même à interrompre (en difcours , jamais
cependant ce Maréchal ne lui dit unfeui
mot & ne lui témoigna aucun ligne
d'impatience.
Après cela il reprit te Père D. Eufta-
che pour s'aiTeoir avec luij tous ceùs
tjui croient près & à l'entour de îui
s'éloignèrent un peu & fe rangèrent
dans un coin de la chambre, comme
Taurre Père Feuillant vit que les (iéges
fiir lefquels ils s'ailéoient n'étoieni que
des fcabaux, & qu'il y avoir de l'autre
côté de la table une chaife à bras il
s'avança pour la lui préfenter , mais le
Maréchal l'ayant apperçu s'approcha de
lui, & lui mettant la main fur le bras,
je vous prie , dit-il , mon Père , de ne
pas prendre cette peine. Je ne fuis pas
en état de fonger à ces chofes-là, ni
où il me faille traiter de cérémonie.
S'érant aflls , il s'entretint environ demi
quart d'heure avec le Père D. Euftache,
& fe iriit cnfuite à genoux ayant le
vifage contre , & joignant îa tapilTerie
& (e confefTa au même Père.
Il fit fa confefîicn avec un grand fen-
liment de dévotion , comme on en pou-
voit juger de fa voix qu'on enrendoic
par toute la chambre (ans néanmoins
qu'on pût diftinguer ce qu'il difoitielle
dura près d'un quart d'heure , & dans
cette confeflîon , il fit une revue générale
des choies les plus importantes de fa vie:»
La confeflîon finie , le Père D. Eufta-
che fe retira pour îe laiOer accomplir fai
,(4i )
pénitence , &: s'approchant de Tautré
Père Feuillant & des deux Dofbeurs de
la Sorbonne qui étoient entres dans la
chambre pendant que le Maréchal fc
confefToit , il leur dit, qu'il leur vouloit
faire part de la confolation Se du con-
tentement qu'il avoit reçu en la con-
fefîîon qu'il venoit d'enrendre , qu'on
ne pouvoir fouhairer un plus grand cal-
me d'efprir , plus de confiance & de
rcfolution à foufirir la mort , ni plus
de réfignation à la volonté divine } mais
fur- tout qu'il n'avoir jamais connu une
ame plus pleine d'ardente , & de vive
charité envers Ces ennemis.
Comme ils s'entretenoient fur ce ^-
jet , le Maréchal (e leva, ayant achevé
fâ pénitence & fe tournant vers ceux
qui étoient dans la chambre, les envi-
fagea tous fixement : alors le Père D,
Euftache l'abordant, lui préfenta le (îeur
Leclerc i Se lui dit, que c'étoit un des
plus anciens Do(fl:eurs de la Sorbonne
qui étoit venu pour le confoler ; il le
remercia de fa. peine, & en lui faifanc
compliment , lui témoigna qu'il lui étoic
très -obligé, il en die autant au fieur
Dupuy , enfuite le même Père D. EuC-
tache lui fit connoîire le Père Prieur
( 4^ )
de leur Couvent de Paris qui l'accom-*
pagnoit,& qui s'approchant lui dit qu'il
avoit toujours fait prier Dieu fort foi-
gneufement pour lui dans leur maifon \
depuis qu'il en étoit Supérieur , & que
ce jour , en forçant le marin du Monaf-
tère pour le venir affifter , il avoit donné
ordre que toutes les Melfes fulTent cé-
lébrées à fon intention , afin qu'il plût
à Dieu de fortifier fon efprir. J'ai tou-
jours cru répondit le Maréchal , que tous
vos Pères me vculoient du bien , aufîî
n'avez vous jamais été trompés en m'ai-
mant , & alTurez-vous que routes mes
affedions vous étoient entièrement ac-
quifes.
Après lui avoir rendu ce témoignage
d'amitié pour fa maifon, il s'aiïit & les
deux Doéteurs de Sorbonne avec les
deux Pères FeuiiUns autour de lui , 8c
pour entrer en conférence , à peine lui
eurent- ils parlé de fes ennemis, quii
témoigna franciKnient qu'il leur par*»
donnoit de bon coeur; ce n'efl: pas tout
lui dit un des Pères FeuiUans, vous de-
vez rendre vorre diU^clion pour eux (i
enibraffe qu'elle puille mcme ctoulîec
dans votre cœur les fentimens de haine
qui y pourront naître î vous touchez- là.
(4? )
luî repartît le Maréchal , en Ce tonrnanC
vers lui, un point qui efl: bien délicat,
j'eftime que n'avoir point de fentiment
des mauvais offices qu'on nous rend , eft
une perfedion plus qu'humaine, & il
ne faut point s'etônner fi je ne la pof-
féde pas , grand pécheur que je fuis ,
& toutefois p.ir la grâce de Dieu, je
me fens aflez fort pour ne point con-
fentir à aucun mouvement de vengeance
qui pourroit s'clever dans mon ame i
quelque temps après , l'ayant mis fur ce
même difcours, il protefta que dès les
premiers jours de fa prifon il avoit fait
une ferme réfolution de ne témoigner
jamais aucun refTentiment ni de fait ni
de parole à qui que ce fat qui lui eûc
fait du mal , qaand bien même Tes affai-
res enflent réufïi heureufement 6c à Ton
fouhait & qu'il en auroit eu le moyen j
qu'au commencement de Ton affaire ,
attendu la malice du temps , il avoit
bien prévu qu'il y devoit périr , mais
que cependant , lorfqu'il jettoit les yeux
fur la conduite de fa vie , l'innocence
de Tes aiflions lui en faifoit efpérec un
bon fuccès. Qiie H pendant le temps où
ïi lui leftoit un peu d'efpcrance de rer
(44)
venir en un état, auquel, s'il vouloîtr
il pourroit nuire un jour à Ces ennemis,
il leur avoir néanmoins pardonné de
Don cœur &c avoir prié Dieu de le con-
firmer dans ce fentimenr , il n'y avoic
point d'apparence qu'en l'état où il étoit ,
( en montrant pitoyablement Tes mains
liées } & oii il ne pouvoit nuire & ofFen-
fer perfonne que foi même , mettant eii
doute fonfalut, par un appétit humain
de vengeance , il voulut le nourrir ÔC
fomenter dans fon cœur.
Il faut remarquer qu'en tour ce diC-
cours, il ne Ce confclla jamais coupa-
ble 5 tout ce qu'il dit approchant le plus
de cela, ce fut quand il confelTa à ceux
qui le confbloient , qu'il croyoit s'être
défendu avec trop de fierté & d'aduran-
ce , fur l'opinion qu'il avoir de fon in-
nocence, & maintenant que les Juges
en avoient eu une opinion contraire ,
qu'il avoir quelque fcrupu!e,qui toute-
fois ne lui faifoit point de peine, qu'en-
tant qu'il n'auroit pas été alTez rclîgné
à fubir le jugement des hommes.
Sa confiance & fa fermeté en fes pa-
roles ÔC dernières actions fut toujours
très-grande, mais tellement accoinpa-
gnec d humilité & de modeftie chrétien-
ne , qu'il eût été bien mal aifé de juger
qui paroifToit plus grand en lui , ou fon
courage, ou fa modération} elle fe re-
marqua finguliérement, en ce qu'il ne
parla jamais en particulier d'aucun de
ceux qu'il avoir rout lieu de foupçonner
Tes ennemis, ceux qui l'afllltoienc, évi-
toient auiîi de lui en parler : il tomba
de lui-même par occafion fur la perfonne
du Roi , & étant enquis s'il n'avoir point
eu d'averfion contre lui , il prorefta for-
tement qu'il n'avoir jamais eu le moin-
dre mouvement d'indignation contre Sa
Majefté , qu'au contraire il l'avoir tou-
jours aimé avec des tendrelTes qui ne fe
pouvoient exprimer , & que pour fon
fervice il avoir eu des paffions fi fortes,
qu'elles lui avoient fait oublier toutes
chofes & bien fouvenc ce qu'il dévoie
à Dieu.
Sa foi en fuite de fa modeftie èc de
fa confiance fut extraordinaire , pour
preuve de quoi , il proteHa que s'il pou-
voit racheter non-feulement fa vie, mais
milie vies, en fe déportant de la moin-
dre petite chofe qui fut de la créance
de l'Eglife Catholique, qu'il ne les vou-
droit pas' à cette condition , qu'il pré-
( 46 )
fumoit affez de force en Ton efprit pour
en faire l'expérience , & qae s'il Ce trou-
voitdans l'occafion, il s'alTuroit ôc croyoit
fermement que les grâces du Ciel ne
lui manqueroient poinc en cette ren-
contre.
Cette foi fut accompagnée d'une con-
fiance filiale en Dieu, & d'une réfigna-
tion admirable en (es fainres volontés:
quand je nie confidére , difoic-ii en l'état
ou je luis , & quand je penfe à ce qui
fe doit pafler aujourd'hui fur moi , je
dis en moi-même, que Dieu me veut
fauver , car fi j'examine ma vie , je fçai
bien que devant la juftice divine, je fuis
grandement criminel , & que je mérite
mille fupplices , mais fi je regarde la
Juftice temporelle , je ne crois poinc
mériter la mort ', que fi je jette ma vue
fur les raifons de l'Etat , je ne vois poinc
de fujet non plus pour lequel je dois
mourir, tellement que ne trouvant poinc
de raifon ny en apparence ny en effet
pour perdre la vie, je ne le puis rap-
porter qu'à un foin particulier que Dieu
a de me fauver parce moyen -là , 8c
mcme je ne fçai point Ci en l'état où je
me trouve , une grnce me feroit utile •,
la voudricz-vous bien , Ivionfkur , fi on
C47 )
vous l'offroît , lui demanda im des DoC" •
fenrs; le defir de vivre eft bien humain ,
Un reparcit-il en fouriant, mais l'atten-
dez-vous lui répliqua i'aurre : hélas non ,
hélas non 5 die- il trois ou quatre fois
en levant les mains &: haulîànt les épau-
les.
Pendant ces colloques mutuels , on
iui demanda s'il fenroit des conlolations
& des douceurs intérieures daiTS fon
ame,ildic qu'oui, Se plus grandes qu'il
ne pouvoit dire , de néanmoins , non-
obftant tout cela, difoit- il & quelque
calme qui paroiiïe en mon vifage, je
ne lailTe pas de refTentir de grandes vio-
lences dans mon efprit : ma condition
eO: bien différente de celle d'un homme
qui s'en va hardiment à un combat ,
Ton delTein n'efl: pas de recevoir la mort
mais bien de la donner , de tel qui
fenible y aller gayement & plein de
réfolution , s'il étoit aduré de n'en reve-
nir pas , fongeroit bien avant & atten-
tivement à ce qu'il auroit à faire
quelque générofité qu'il eut ; outre cela ,
l'ardeur du defir d'honneur & de gloire
qui échauffe le cœur d'un homme bien
rc , efl un puiflant charme & un fort
divercifien;ei:t pour détourner la penfée
(45)
3e la ptéfence du péril. J'ai eu la mort
bien fouvent préfenre à mes yeux , mais
jamais cercainement comme aujourd'hui :
Ce n'eft pourtant pas ce qui frappe mon
efprit , d'autant qu'à bien confidcrer
cehe mort, ce n'eft qu'un vent d'acier,
mais quant je Fais réflexion à la façon
ôc à l'ignominie qui l'accompagne , il efl:
vrai que j'en fuis extrêmement combat-
tu ' Dieu m'a fait la grâce d'être d'une
famille , dont tous ceux qui font fortis
devant moi ont augmenté l'honneur, Se
maintenant j'ai un extrême regret qu'il
femble qu'elle foit flétrie en ma perfonne ;
cette penfée rendroit ma condition bien
déplorable , (î l'efpérance d'une meilleure
vie où l'opprobre me conduit , ne me
la rendoit (upportable.
Comme il vint à parler des incom-
fnodités de fa prifon , je vous allure >
dit-il , que ce que je fouffre préfente-
ment, en montrant fes mains liées, &
ce que je dois fouffrir aujourd'hui , ne
m'efl pas plus fâcheux &c plus fenfible
que ce que j'ai enduré dans la pri(on,
car l'on m'a tant tourmenté. Le fleur
Dufuy l'interrompant alors , lui dit ,
tout cela Monfleur n*eft-il pas au de flou s
de ces péchés? Combien y a-cil de
perfonnes
^erfonnes plus innocentes que vous »
( ce que je dis pourtant fans vous accu-
ser ), qui fouffrent des fupplices bien plus
ignominieux que le votre. Je l'avoue,
lui dit-il en hauffant un peu Tes miins ,
& en tout ce que j'ai dit, je n'ai point
prétendu me iuftifier devant la juftice
de Dieu , en la préfence de qui je me
reconnois coupable &: très - grand pé-
cheur, ôc vous prie de m'ai.îer tous par
vos prières, à lui en faire une dsgne
fatisfaftion , ce qu'il dit en (e tournant,
aux Pères Feuillans & aux Docteurs qui
le confoloient, à qui il tcmoif^na être
fort obligé , & remercia Dieu avec
grande tendrefTe & fentiment , de la
grâce qu'il lui avoic faite de les lui en-
voyer pour Taûlfter ; je refîens dit- il,
d'autant plus ce bien , que ce matin ,
aptes la lecture de mon Arrêt, j'avois
appréhendé de mourir fans erre confolé ,
j'ai demandé à être communié Se on me
l'a refufé , & même je n'ai pu obtenii:
d'ouir la Melfe. J'ai été urpris, & vous
aOTure que fans cela, j'eulTe prévu à mes
affaires , & me fuiïe muni du Saint
Sacrement , mes juges m'avoient pro-
mis de m'ouir encore une fois : il ap-
pelloit furprife de n'avoir point com-
Recuàl O. C
munie ce jour-là , ou le jour d'aupara-
vant, encore qu'il n'y eût pas long-»
temps qu'il fe fut acquitté de ce faint de-
voir.
Cela lui donna fujet de demander
pourquoi l'on refufoit le Saint Sacre-
ment aux perfonnes condamnées , & aux
Docteurs de fatisfaire à fa demande , ce
qu'ils firent & ce dont il fe contenta :
il fe préfenta plufieurs fois occafion de
témoigner fa repentance d'avoir ofFenfé
Dieu , qu'il fignala par différens aâ:es
de contrition, difant qu'il avoit un ex-
trême dcplaifir d*avoir été fi peu fidèle
à Dieu , de qui il a toujours reçu des
grâces très-parriculicres : &c même dans
mes plus grandes libertés , j'ai fouvent
reflfenti de bons m.ouvemens dans mon
cœur, qui m'avertilToient preffammenc
& puifTamment de revenir à Dieu de qui
je m'cloignois , & à cette occafion il
demanda à ceux qui l'afîîftoient com-
ment (e faifoit la juftification du pécheur ,
ôc s'il étoit poilible qu'un homme en-
nemi de Dieu pût pafTer en un inftaut
du péché à la grâce.
Pendant qu'on traitoit cette matière ;
j'avois , dit-il , réfolu fi mes affaires euC-
iènt eu bonne iduc, de donner du pied
au monde , avec ferme dciTein de ne
plus m'y embarraffer. Mais puifque je
n'ai plus qu'à (ônger à mes péchés poiic
employer tout mon temps à faire péni-
tence. Prenez ceci , Monfieur, lui die
un des Dofteurs pour votre pénitence,
il Ce prit à foufrire & lui dr, je ne
Tentendois pas comme cela, Monfieur,
& après ceux qui le confoloienc étant
tombés fur quelque point de la Loi de
Dieu, doni la pratique efl: difficile, il
répondit le demi vers du Pcète , Hoc
opus hic lahor e(î.
Le fieur Dupuy l'avertie, s'il avoic
dévotion d'être enterré en quelqu'en-
droit particulier &: dérerminé , qu'il le
demandât , & qu'on le lui accorderoit,
je ferois bien aife, dit-il d'être enterré
avec feue ma pauvre femme : fur cela
les Pères Feuillans qui avoienc (c\x du
fieur Jacob, par qui ils avoient été con-
duits à la Maifon de Ville , que Mon-
fieur le Garde des Sceaux , lui avoic
donné le corps pour le faire enterrer oii
il voudroit , lui dirent qu'il ne fe mit pas
en peine de cela & que le fieur Jacob
avoit demandé fon corps, qu'on lui avoic
accordé , & que le choix qu'on avoic
C ij
(fl )
fait du lieu ou ils le vouloient enterrer i
étoit conforme au deflein qu'il avoit :
J'ai dit-il enfuite , une nièce Carmeline
à Pontoife, qui a eu le cœur de feue
ma femme, je voudrois bien qu'on lui
donnât le mien pour le faire enterrer
auprès.
On ne peut exprimer combien il té-
moigna de tendreHTe ôc d'affecStion en-!-
vers feue la Dame Maréchallefa femme,
je fens, dit-il, de très grandes douceurs,
& une confolation indicible dans l'ef^
pérance que j'ai de la voir aujourd'hui ;
& en di(ant cela il s'attendrit , de forte
qu*on lui vit couler des larmes le long
du vifag? ; il demanda enfuite Ci on fe
reconnoitToJt en l'autre vie , & fi les bien-
heureux ont du ccntenteinent de voir,
que ceux qu'ils ont aimé en cette vie
poffédent le même bonheur Se la même
fjliciré dont ils jouilTent, à quoi on lui
répondit auffi - tôt : il rendit le même
témoignage d'amitié particulière à Mon-
lieur le Garde des Sceaux de Marillac
& pria ceux qui l'affiftoient , fi jamais
Toccafion s'en prèfentoit , de lui faire
fçavoir qu'il s'ètoit fouvenu de lui.
Il avoit autrefois recherché en mariage
.un
la Mère Prieure des Feuillantines da
Paris « depuis qu'elle efl: veuve de feu
Monfieur de Kofny frère puifné de
Monfieur de Suilly êc comme pendant
fa recherche elle a pris réfolution de fe
Retirer du monde pour Ce rendre Feuil-
lantine, il l'accompagna jufques à Ton-
loufe , où elle fut prendre l'habit de
Religion : en fe féparant elle lui donna
un petit reliquaire de cuivre , où il y
avoit quelques Reliques , il pria ceux
qui l'alTiftoient de le vouloir prendre
après fa mort , & le rendre à celle de
qui il le tenoit , la conjurant de fa parc
de fé fonvenir de lui en fes prières.
A ce mot de Reliques , le S. Dupuy
lui confeilla de les ôter de bonne heure
de delTus foi , de peur qu'après fà more
Ton y commît des irrévérences j quel-
qu'un Je la compagnie repartit , que
puifqu'il tcmoignoit défirer les avoir fur
loi , quant il mourrcit , qu'il ne falloic
pas le priver de cette confolation. La
Sieur Dupuy infîfta qu'il les devoir ôter,
& je ne parle point dit - il fans fujet ,
d'autant que la première chofe que fe-
ront les valets de l'exécuteur, après l'exé-
cution faite , ce fera de fouiller dans
Ces poches , & même de lui ôter Cts
C iij
( î4 ;
îiabits, 8c ]e crains qu'avec cela on ne
îraite irrévéremmentces Reliques. Com-
me il l'eût oui , il pria qu'on mîc la
main dans Ci pochette pour les prendre
& ponr en tirer quelques petites dévo-
tions qu'il y avoir. J*ai encore, dit il,
d'aucres Reliques fur moi , mais elles
font coufues , Se pendant qu'on Ce met-
toit en devoir de les oter, le Chevalier d\i
Guet , s'approcha , & aflura qu'il ne feroit
pas dépouillé après l'exécution : fur cette
alTurance qu'il réitéra trois ou quatre
fois à rliverfes rencontres , on fut d'avis
de lui ; . ffer les Reliques , puifque l'Exé-
cuteur t: Ces gens ne lui dévoient pas
toucher après qu'il feroit exécuté.
Entre pîuiîeurs difcours dont il cn-
trerenoit les Pères aufîî froidement que
il c'eût été familièrement , il en fît un
pour rendre raifon de l'affeftion qu'il
avoit eu pendant fa vie envers les Feuil-
Jans & dit q-i'elle venoit, de ce que fe
trouvant à la Campagne avec un de fes
amis , il y a environ vingt-cinq ou trente
ans . un peu devant la Fête de ToufTaints ,
ils firent enfemble réfolution de ne pas
laifTer pafTer un C\ bon jour fans faire
leurs dévotions , Se pour cet effet , de
s'en aller à Paris dont ils n'étoient que
fort peu éloignés afin dy être mieu:c
aflTiftés : Comme [nous nous en venions
à Faris, continua-t-il , nous rcfolumes
d'un mutuel accord d'aller aux ï'eres
Feulllans qui a voient encore leurs pre-
mier bâtiment Se leur petite Egiife, je
tombai entre les mains d'un de vos Pères
( Ce tournant vers ceux qui l'affiftoient) du
nom duquel je me fouviendrai bien en-
core , c'écoit le Père D. François de fainre
Magdtlaine qui m'accommoJa , & me
traita comme il falloir: à cette ptemiere
& feule fois , il ncroya iî bien ma con-
fcience qu'il n'y laifîa pas de rouille, fa
rigueur Se fa févérité n*empêcha pas
pourtant que Je n'y retournaffe depuis »
tant je m'en crois bien trouvé , & dès
ce temps là il e(ï certain qu'encore que
je n'aye point rendu à Dieu la fidélité
que ie lui devois dans tontes fortes de
rencontres ; il y a pourtant eu en moi
un très-notable changement de vie &
j'oferai dire qu'en recorinoi (Tance d'un
relTentiment particulier de Dieu , que j'ai
eu depuis, Se que ie dois aux foins des
Pères Feuillans, j'ai 8;ardé toujours une
affection fort particulière pour eux, ôc
leur en fuis obligé.
A propos de cette obligation _ comme
C iv
on parla de ceux qui attendent du bîeti
& de la fortune des maîtres dans le
fervice de qui ils s'engagent , il die qu'à
la vérité il Ce fentoit redevable envers
plufieurs pour beaucoup de bons offices
qu'il en avoir reçus , mais que mainte-
nant qu'il Ce voyoic hors des moyens
d'y pouvoir fatisfaire , il efpéroit que
Dieu feroit pour eux, à Ton défaut, ce
qu'il étoit obligé de faire.
L'endroit ou il étoit affis dans la
chambre étoit tellement firué qu'il voyoit
direélement tous ceux qui entroient, &
cela avec un tel flux & reflux de monde
depuis qu'il y fut entré jufques à ce qu'il
en fortîc pour al'.er au fuppiice , qu'elle
étoit prefque toujours pleine ayant donc
la porte devant les yeux ôc en objet «
on s'apperçut qu'il regardoit fixement
& aiTurément tous ceux qui er,troient
& qui fortoient, ce qui donna fujet au
fîeur Dupuy de lui dire, Moniîeur arrê-
tez ici votre vue parmi nous & ne laif^
fez point vaguer votre efprit çà &r là
en le fuivant, cela ne fert qu'à vous
divertir de l'artention que vous devez
avoir aux chofes que nous vous difons.
Un d'entre eux prit la parole & dit qu'il
!ui falloir laifîèr ce divertilTemenc inno-
,., ( 57 )
cent , qu il ne croyoit pas capable de
faire impreilîon fur Ton efprit ; li faic
vraiment:, dit-il, cela m'amufe , ô^ en
difant cela il i'e leva & pria le Père
D. Euftache de lui donner fa place ôc
de prendre la fienne , Se aind ii (e trouva
aiîîs entre les deux Pères Feuiilans, en
telle forte qu'il ne pouvoir voir entrer
ni fottir perlonne qa*ea touinant la
rête.
Tous ces difcours prccédens furent
fenus par le Maréchal , depuis que ceux
qui étoient deflinés pour le confoler
Peurent aborde , julques à ce que l'Exé-
cureur le prit pour l'accommoder &c le
pTcparer afin de faciliter l'exécution, 8c
faifoit ces difcours aux diverfes occur-
rences qu'on faifoit naître à deffein, oiV
en celles auxquelles fans y penfer il
tomboiî lui-mcnie, Se pendant tout ce
tenips-là foiT efprit fut auflî calme 8c
aufli tranquille , que fî des perfonnes
faifant proFefiion" de pieté & de dévo-
tion le fuffent venus voir dans un plein
loifir , & avec qui il Ce fût entretenu des
chofes du Ciel & qui regardaffent fon fa-
iuî ; (â rai fon étoit aufîî forte & fes termes
fi- fi gni fi car ifs qu'on n'eut pu jamais, le
déliter ; en fon vifage & fon maintien ,
C y
( 5^)
nî même dans aucune de Tes allions ,\
il ne parue aucune marque d'agitation
& d'inquiétude, on n'eut point de peine
à fortifier Ton courage , il ne fut pas
même befoin de lui en parler , & à vrai
dire , il eût plutôt été nécedaire de Tab-
batre que de le relever , il propofa à ce
fujet un fcrupule qu'il avoit d'avoir com-
pofé Ton port & fa contenance en fbr-
tant du carofTe , pour ne pas paroître
intimidé & qu'il avoit eu dedein d'en,
faire de même en allant au fupplice.
Le temps de l'exécution s'a pprochant,
il témoigna qu'il eût bien défiré qu'elle
eût été faite en pariiculier , mais c'eft
dit-il une grâce que je neveux deman-
der & qu'il ne faut efpérer n'y attendre,
di fur le refus que le Chevalier du Guet
li.i avoit fait de permettre qu'il mît fon
teftament entre les mains de fon Con-
feffeur , comme on a déjà remarqué , il
le jetta fut la table afin que le Greffier
l'y vint prendre , & demanda inftam-
ment plufieurs fois qu'on le fit entrer,
afin , difoit il , que délivré de ces foins
temporels , je vaque , ce peu de temps
qui me rcfle, à des cbofes plus impor-
tantes & férieufès -, enfin le Greffier étant
arrivé aprcs midi , à ion abord les âvis
fî9)
furent incîifférens , touchant la façon de
recevoir ce teftament , parce que le Che-
valier du Guet ne vouloir point quM fut
lu , & le Greffier étoic encore de cet
avis, d'aurant difoit-il que par la lecture
qu'on en feroit , c'étoit faire une a<flioii
contraire au dedein qu'on avoir de le
renvoyer clos & fermé au Roi , afin que
fous fon bon plaifir il eût de la force
& de la vigueur. Le Maréchal indfloit
au contraire qu'on en fit lednre publi-^
que ; fon femiment fut appuyé de celui
d'une perfonne de qualitç & de condi-
tion qui dit tour haut:^u'il n'y avoic
aucun inconvénient de lui donner cette
facisfa<flion.
Le Chevalier du Guer piqué de cet
avis repartit à haute voix qu'il n'avoit
pas befoin de tant de Confeillers , &
qu'il n'eu feroit point fait de letlure ,
& fur le champ le Greffier prit une
feuille de papier blanc dont il enveloppa
le reftament qu'il cachera en dix ou
douze endroits avec de la cire d'Efna-
gne &c le fceau de la Maifon de Ville-
dont il fe (ervit après avoir den^andé
au Maréchal , s'il n'en avoir poinî fur
lui , & qui lui répondit que non , êz qu'il
y avoit long- temps qu'on lui avoir ôté
C vj
( 6o )
tout ce qui lui appartenoit, enfuite fe
Greffier fit un petit ade fur Tenv^ loppe,^
qui portoit en fubdance que ce terta-
menc lui avoic étc mis entre ies mains
un te! jour ôc en tel lieu , par MeJJire
Louis de Marillac Maréchal de France ,
pour être préfenté au Roi , lequel il fup-
plioit très -humblement de permettre
qu'il fortît Ton effet & qu'il fût remis
entre les mains de Monfieur Aimeras
Maître des Coîrjpres qu'iJ nommoit fon
exécuteur tefîamentaire.
Cela f"ait ,JI lui fut offert pour le
fîgner , & ayawt pris \x plume , il elfaya
de le faire, mais à l-'inCtant il la quitta,
&: dit je ne fçaurois figner, lié comme
je fuis, ma main nà point de mouve-
ment, je vous prie qu'on me délie; il
î'avoit déjà demandé ^i continua de la
répéter à plusieurs fois , difant qu'on le
lui avoit promis lorfqu'il feroit avec
les Dodteurs & les Pères qui le confo-
loient -, enfin après avoir regardé atten-
tivement tous ceux qui étoienc autour
de lui, &: qu'il vit que perfonne ne fe pré-
fentoit pour l'entreprendre , il dit tout
haut , celiii qui m'a lié pourroit bien
venir me délier , & perdant tout-à-
fait refpérance de l'ctie , il prit pour
( 61 )
one féconde fois la plume , & pouflânf
fa main , fit couler la corde qui étoic au
poignet , un peu avant fur le bras , de
telle façon que fa main fe trouvant plus"
libre , lui donna le moyen de figner le
teftament , & étant figné , le Greffier le
prit , & en le levant dit à haute voix ,
Me/îîeurs vous êtes témoins , comme le
papier que vous voyez m'a été mis entre-
les mains, par Monlieur le Maréchal de
Marillac, difant que c'efl fon teftamenr,
qu'il veut être préfenté au Roi.
Pendant le temps des conteftations"
que l'on fit à ce fujet , ceux qui étoienr
dans la chambre s'approchoient comme
i^s avoient coutume dans d'autres occa-
sions Ôc Ce retiroient enfuire, & le laif^
foient feu! avec ceux qui l'exhortoient ;
ayant donc tous les affiftans auprès de
lui , il reconnut Monfieur Sanguin Pré-
vôt des Marchands , ôc lui dit , Mon-
fieur vous m'avez vu en un état auquel
vous n'avez pas cru de me voir réduit
à celui- où je fuis à préfent : à cela l'au-
tre lui répartit froidement , Mon(]c=ur
ce qui eft fait eft bien fait, il ne faut
plus fonger à cela : Alors le Maréchal
enfe détournam & regardant toute la.
(Cl)
compagnie dit d'une façon ries -Chré-
tienne & digne d'autant d'admiration
que de pitié, le monde m'immole au
monde , & moi , je m'immole à Dieu.
Un peu deva;u midi , il avoit die
qu'il dé(îroir parler au fieur Jacob qui a
toujours été à lui, & qui l'a dignement
& fidellement fcrvi etj Tes affaires &
notamment en celle ci : le Chevalier du
Guet en s'approchant lui promit de le
faire venir , ce qu'il ne fit pourtant pas:
ayant attendu quelque temps , & voyant
qu'on ne ie faifoit point entrer , il le
demanda , & pria rnftamment qu'il le
pût voir bientôt , afin qu'ayant fait avec
lui , il ne fût plus obligé à pen(er ni à
parler que des chofes du Ciel , défiranc
ménager pour cet effet le peu de temps
qui lui reftoit : fur cela le Greffier étant
entré comme il a été dit ci -devant &
ayant fait avec lui, il demanda pour une
îroifiéme fois ledit fieur Jacob : Je l'ai',
dit le Chevalier du Guti fait chercher
par toute la Maifon de Ville , &. même
appeller à haute voix fans qu'on Tait pu-
trouver, j^ai envoyé à fon logis , il faut
attendre que le meffager foit de retour
pour en avoir des nouvelles , ce qui
C^5 )
n'étoit pas ncceffaire , pnifqu'il étoîî
dans une chambre de l'Hôtel de Ville,
où des le matin on l'avoic enfermé avec
le fieur Desbois Avocat au Parlement,
qu'il avoir mené & fait entrer avec lui
& qui avoit aufli fort bien fervi le Maré-
chal &c beaucoup aflifté dans Ton pro-
cès : quelqu*un de la compagnie jugeant
que le Chevalier du Guet ne vouloic
point donner cette fatisfadion au Ma-
réchal , dit tout haut, que celui c^uoti
cherchoit étoit dans la chambre ou oit
l'avoir mis dès Ton entrée en la Maifon
de Ville , le Chevalier du Guet fortic
alors de la chambre , Ce montrant fort
officieux en apparence , & promit qu'il
s'alloit m.ettie en devoir de le trouver,
& ne le fit pas plus entrer cette foi&
que les autres , iufques à ce que le Ma-
réchal l'ayant demandé encore pour une
quatrième fois , difanc , je vois bien quon
ne me veut point accorder cette con(o-
lation , de pailer à celui que j'ai tant
de fois demandé; hc I pourquoi me le
refufe-t-on? Quelqu'un repartit qu'on
faifoit tout ce qu'on pouvoit pour le
trouver , mais que peut-être lui-même
faifoit difficulté d'enrrir, apprchendanc
de ae pouvoir fupporter qu'avec un
f (54 )
exrrême dépialfir la vue de î*érar oA iî
étoir. Cela eft humain ,dic il, ôc peuc-
erre m'attendrirai-je moi-même en le
voyant : on fit rapport à Monfieur le
Dlic de Jyîonc'oazcn, c\m fe trouva lors
en la Maifon de Ville, du défir qu'avoir
le Maréchal , &. Cjue le Chevalier du
Guet laiiïoit couîcr le temps pour Aiire
perdre l'occâhcn de lui donner ce con-
îcntement, quoiqu'on lui eût mis entre
îes mains la permifiion par écrit, de lui
parler que le Heur Jacob avoir obtenir
de Moniteur le Garde des Sceaux j 6c
MonHeur de Alontbaz.on , commanda aa
fieur Clément Greffier de l'Hôtel de-
Ville, d'aller prendre ledit fieur Jacob
a la chambre où il éroit, & de le mener
au Maréchal , ce qu'il exécuta.
Comme le iîeur Jacob entra, & le
fïeur Desbois avec lui , ceux qui aflif-
to:ent le Maréchal fe retirèrent deux-
ou trois pas en arrière, & lui fe levant,
s'appuya du dos contre la muraille , &
reçut ledit fieur Jacob avec autant de
gravité , & aufîi férieufement que les
perfonnes de qualité ont accoutumé de
recevoir leurs domelUques ; j'en fuis
bien aife répondit- il , & ai beaucoup de
ckofes à vous dire > mais je voudroia
( ^T )
DÎen vous parler en particulier , & Ce
tournant vers le Chevalier du Guet qui
étoit près , il le pria de fe retirer parce
qu'il ne voulait entretenir ledit Jaco^
que de Tes affaires domefliques , & qu'il
y avoit de petits intérêts dans les fa-
milles, qu'il n'étoit pas befoin que touc
le monde connut.
Cela ne fe peut répartît le Chevalier
du Guet, & j'ai l'ordre dans ma poche»
qui porte que perfonne ne vous parle
qu'en ma préfence; il e(ï vrai répliqua
le fieur Jacoô , mais il ne s'en fuit pas
que ce foit tout haut: Le Maréchal pre-
nant la parole lui cfit , je veux bien que
ce foit en votre préfence , mais la pré-
fence ne concluî pas , que vous deviez
entendre ce qu'on dira ; quand vous
ferez en un coin de la chambre , ôc
moi à l'autre , ce fera toujours en votre
prélencc ; tout ce'a ne fit cepend:^nt pas
changer de réfolution au Chevalier du
Guet , & comme le Maréchal vit qu'il
ne falloit pas attendre cette grâce de le
laiffer parler (eul , cela eft bien dur ,
dit-il , hauilant les épaules; mais il fauc
aller jufques au bout, je n'ai donc rien
à lui dire.
Le Heur Jacob néanmoins pour Tobli-»
(66)
ger à cela , prit la parole , & lui dît
qu'il y avoir un tailleur à qui il étoic
du quelque chofe , pourquoi ne l'a-t-oiî
pas payé dit-il , parce qu'il y a , répon-
dit Jacob , des parties pour Madame là
Maréchalle qui ne (ont pas arrêtées.
Qu'on le croye à fa parole, dit le Ma-
réchal _, je l'ai toujours trouvé homme
de bien , il y a ajoûca-t-il une chofe
dont je parle dans mon teftament , à qp.oi
je défire que vous preniez garde , c'efl;
qu'il y aura plufieurs perfonncs qui vous
viendront demander d'ctre payées pour
éits chofes qu'elles ne pourront juflifier
leur être dues, traitez cela le plus rai-
fonnablement que vous pourrez , j'aime
pourtant mieux qu'on fanTe le plus que
ie moins , & qu'on donne plutôt à ceux
à qui il n'efl: rien dû de ce qu'ils de-
mandent , que fi on refufoitde fatisfaire
ceux à qui véritablement je dois, j'ai fait
ce teftament depuis quelques jours, que
j'avois commencé à (ainte Mcnehoud
& à Verdun , & l'ai mis entre les mains
de Monfieur le Greffier , avec quelques
papiers que j'avois à vous donner , mais
on ne le veut pas permettre. J'efpére
que le Roi agréera qu'il foit exécuté ,
M. le Garde des Sceaux , die Jacob ,
( ^1 )
lii'a dit que le Roi vous permettoît dfe
tefter , voilà qui eft bien, dit-il , le
GreHier dit auflî là-delTus, j'ai charge
d'écrire tout «e que vous direz.
Comme ils croient enfemble , le Ma-
réchal apparent près de lui le fieur De{^
bois Avocat au Parlement , & témoigna
du déplaifir de l'avoir oublié dans fon
teftament, qu'on le conrenre pourtant ,
dit- il, & qu'on lui donne trois ou qua-
tre cens écus : du refte , j'ai fait Mon-
fîeur Aimeras exécuteur de mon tefta-
ment , vous lai direz que je le prie
qu'il ait foin de le faire exécuter , fi le
Koi le permet & qu'il m'aime autant
après ma mort que devant : Dites auflî
à Defportes que je le remercie de tous
les foins & peines qu'il a pris pour moi
en mes affaires , & que je le prie d'y
continuer les mêmes foins à l'avenir.
Comme il pourfuivoit à lui faire
ces recommandations particulières, le
Chevalier du Guet relâchant de fon at-
tention, tourna la tête pour parler à
quelqu'un , le Maréchal par une admi-
rable prudence &: présence d'efprit fe
fervit de cette efpace pour recomman-
der le Jjeur Frotté fon fécretaire ; il ne
voulut pas le faire ouvertement, parce
( 6B ) ^ ^ ^
€\u il étoit en peine pour lui , qu'on aîf <
dit-il, en s'approchant de Toreille da
fieur Jacû/f , foin de Frotté , parce qu'il
m'a aiïîdé en mes affaires fort utilement
& avec beaucoup d'affeârion.
Il recommanda aufîî au fieur Jncob
de dire aux fieurs Garnier, Rouyer, &
Mollet Avocats qui l'avoient afllfié en
fon procès, qu'il les remercioit de leurs
peines, qu'ils l'avoient aidé avec une
grande affe61:ion , & beaucoup de xen-
drefle, le chargea de faire enforte qu'ifs
fulfent bien contentes & fatisfaits, &
lui dit fur cela fa volonté , & comme
Jacob l'alTura que Meiïieurs fes parcns
lui avoient donné charge de lui dire
qu'ils avoient fait dans fon procès, tout
ce qui s'étcic pu pour fa défenfe , &
depuis pour obtenir fa grâce du Roi
envers ceux à qui il faîloit s'adrefTer ,
& qu'ils avoient un extrême regrec de
ne l'avoir pu obtenir, je fçai bien , lui
répondit-il qu'ils n'y ont rien oublié ,
èc je me fuis toujours peifuadé qu'ils
ne s'y épargneroient pas. Je les remer-
cie de leurs peines, vous leur direz qua
je fuis fenfiblement mari , qu'en ma
perfonne leur réputation feniMe recevoir
quelque iictriflure &: quelque marque
( ^9 )
J*ignomînîe , à quoi je ne m*attendoîs
pas, mais je les prie de s'en confoler,
& de ne s'en point fâcher. J'efpére
tant de la bonté du Roi , qu'il me fera
un jour^ la grâce de me rendre l'hon-
neur qu'on m'ote aujourd'hui, faites auflî
fçavoir à ma nièce à'Attichy qu'elle ne
s'afflige peint , &: qu'elle prenne ma
mort en patience , & fur- tout qu'elle
n'en faffè paroître aucun reiïentiment
ni en efïèc ni en parole : je la prie &
U conjure de fe rnarier au plutôt , Ôc
que ce foit s'il eft pofîible à ceiui que
TOUS fçavez, & dont on a parlé.
^ Vous direz aufîi à mon neveu à'Ac-
tichy , que je délire qu'il ferve toujours
bien le Roi , après Dieu toutefois , j'ef-
pére qu'il fortira biea - tôt de prifon ,
puifqu'il n'a point d'autre crime que
d'être mon neveu.
Pour Monfieur le Garde des Sceaux
mon frère, je n'ai rien à lui mander,
je fçai comme il prend les afflitfbions de
la main de Dieu , j'efpére qw'il Wi fera
la grâce d'achever le refte de fa vie com-
me il l'a commencée ; & après avoir
p^rlé de quelques autres affaires au fieur
Jacob , il brifa fon difçoufs, & lui dit
( 70 )
adieu mon ami, il faut penfer à ce qui '
efl: de principal.
Cela dit , il fe remit avec ceux qui
le confoloient pour continuer dans leur
.entretien les difcours des chofes éter-
nelles s & fur les deux heures après
midi ou environ il fe confeiTa pour la
féconde fois , & ayant fait fes prières
après fa confeiîîon , & s'étant aflîs , il
dit à ceux qui l'aflifloient , je vous prie
de témoigner à mes amis & à mes pa-
rens que je meurs fans aucun reffenti-
ment , & que je les fupp'ie de ne re-
chercher jamais aucune forte de ven-
geance contre ceux qui peuvent avoir
procuré ma mort , afTurez - les que je
leur pardonne d'aufîi bon cœur que je
dcfire d'obtenir pardon de Dieu & de
tous ceux que je puis avoir offenfé.
Dès qu'il entra dans la Maifon de
Ville , on lui oiîrit à manger tout ce
qu'il demanderoit d'heure en heure, ou
plus fouvent » & quant on lui venoit
en préfenter, il refufoit toujours , difant
qu'il n'en avoir pas befoin , que fou
corps étoit affez fort , & que même le
matin avant de partir de Rueil , il avoir
pris un bouillon & deux jaunes d'oeufs;'
(7Î )
Cf'penJant , environ fur les trois heures J
il Ce laifla vaincre par ceux qui Tavoienc
fi fouvent prefTé de manger , &: dit , que
puis qu'on le vouloir, il prendroic un
doigt de vin. On lui préfenta du pain ,
dont il rompit deux ou trois morceaux
qu'il mangea, ce fenibloit avec appetir,
éc après on lui apporta du vin dans le-
quel il fit mettre les trois quarts d'eau,
& comme on faifoit difficulté de le lui
tremper fi fort, j'ai, dit-il, accoutumé
de le boire ainfi , ayant bû il Ce pnncha
un peu & baifa la main pour remercier
celui qui lui avoit préfentc à boire.
Trois heures étant Tonnées , l'Exécu-
teur qui après avoir lié le Maréchal
s'étoit retiré , rentra dans la chambre ,
s'approcha & Ce préfenta devant lui ;
cette vue" , quoiqu'affreufe n'altéra point
le calme de Ton efprit, & ne fit remar-
quer ni en Ton vifage ni en les difcours
aucune forte d'émotion. L'Exécuteur
ayant un peu demeuré dans la chambre ,
tira le fieur Dupuy à part pour le prier
de fçavoir du Maréchal s'il aimoit mieux,
pour faciliter l'exécution , qu'on rac-
commodât dans la chambre , que fur
i'échaffaut : Le fieur Dupuy s'étant remis
à fa place lui fit cette propofition , à
(71 )
laquelle ii répondit avec la tranquillité
ordinaire de fon efprit : faime mieux
que cela Ce faffe ici qu'ailleurs, je déCi-
rerois bien toutes fois que ce ne fût pas
en préfence de tout le monde , il reprit
après Tes difcours des chofes du ciel qu'il
continua avec fa compagnie jufques fur
les quatre heures, que quelqu'un lui die
tout haut, Monfieur il eft temps : il en-
tendit bien que cela vouloit dire que
l'heure de l'exécution étoit venue: c*eft
pourquoi il repondit froidement & d'une
tort bonne rcfolution en Ce levant de (a
chaife , il faut un peu prier Dieu aupa-
ravant , ôc en difant cela , il Ce mit à deux
genoux , le vifage contre la muraille.
Depuis la leÀure de fon Arrêt , il
avoit prié Dieu deux ou trois autres fois:
la première fut à midi quand on (ônna
le pardon de V/îve-Maria à Saint Jean
en Grève , s'agenouillant & offrant avec
dévotion à la Vierge, la falutation An-
gélique félon la coutume de l'Eglife :
un peu après une heure le fîeur Dupuy
l'invita de rechef à prier Dieu, & lui
propofa de dire les fept Pfeaumes de la
Pénitence de David , les Litanies des
Saints , V^^ve Maris (lella ôc quelques
guttes oraifons, en telle forte qu'on fai»
ibic
(73 ) ,
foie deux choeurs : il s'y accorda, &
comme le fieur Dupuy lui ofFroit fou
Bréviaire , je n'en ai poinr, dit-il, befoin ,
parce que je fçai tout cela par cœur &c
répondrai bien fans Livre : Le lïeur Du-
puy infiltant le pre(Tà pour une féconde
fois de fe fervir de fon Bréviaire : Je
le veux bien , dit- il , mais afin que je
le puilTè , j'ai des lunettes dans la poche ,
fans lefquelles je ne fçaurois lire , je
vous fupplie de les tirer puifqu'il n'elt
pas en mon pouvoir ayant les mains
liées. A la fin il ne fe fervit pas de li-
vres , & prononça cependant de fon côté
le verfet qu'il falloit dire avec une mé-
moire fort préfente.
La troifiéme fois qu'il pria Dieu , ce
fut lui-même qui en eut le défit & qui
le propofa, ôc aufll-tôt on dit le Pfeau-
ine Mlferere mei Deus , les Litanies ,
& quelques oraifons. Après donc qu'il
eut achevé fa prière cette quatrième fois,
il fe leva , & s'érant tourné vers la
compagnie, & voyant devant lui l'Exé-
cuteur, il lui dit, mon ami fais mainte-
nant tout ce que tu voudras fur moi ,
puifque mon heure efi: venue & au même
inftant il commença à prier Dieu &: ne
Recueil O. D
^ 74 ,)
difcontinua point que l'exécuteur ne l'eut
entièrement préparé.
Son oraifon fut vocale & d'une voix
adés haute , qu'il tiroit du profond de
Ton eftomac , & qui étoit entendue dif-
tinclement par ceux qui étoient auprès
de lui ; pendant fa prière il baifoit fore
fouvent le crucifix qu'il tenoit dans fa
main : L'Exécuteur commença à lui dé-
boutonner par- devant fa Hongreline, &
avant trouvé que le collet tenoit à une
chemifette de gros de Naples noir, &
qu'il n'y en avoir point à l'Hongreline ,
il la déboutonna entièrement & puis le
délia pour la lui oter : fentant qu'on le
vouloir dépouiller, il dit à l'Exécuteur,
comment me dépouiller ? On m'a pro-
mis que je ne le ferois pas, & l'Exécu-
teur lui ayant repréfenté qu'on ne pou-
voir pas découdre le collet de fa che-
mifette, fans lui ôter fa hongreline, il
permit qu'on le dépouillât &: il demanda
s'il ne pouvoit pas s'affeoir , & lui ayant
été dit qu'il n'y avoit pas de danger, il
s'aH^t , & l'exécuteur après avoir découfu
le collet de fa chemifette, la fendit fur
les épaules & la chemife auffi , &: puis
les replia en dedans , laiHant non feule-
, (75 )
ment le col découvert , mais encore Beau-
coup plus des épaules , du dos &c de
reftoniacli qu'il ne falloir, ik le Maréchal
s'étant apperçu qu'il croit entr'ouverr au-
devant , & déboutonné jufques aux chauf-
fes , de forte qu'il moncroit fa chair nue:
boutonne , je te prie , dit- il à l'Exécuteur ,
une partie de ma chemifette, Se comme
il en faifoit difficulté, je t'en prie, dit-
il , pour la féconde fois ^ tu n'as pas befoin
de tant d'ouverture : alors l'exécuteur
ferma la chemiferte jufqn'au milieu de
l'eftomach , api es avoir détaché le collet
avec un gros couteau , & encore qu'à
tous coups , il fembloit qu'il dût donner
dans la gorge du Maréchal , il ne branla
pourtant point , mais au contraire il
haulToit ou baifîoit le menton pour don-
ner du jour à l'Exécuteur , avec la mcma
facilité que s'il eût été entre les mains
d'un Barbier , où bien en guife d'un
agneau innocent qui fe laifTeroit manier
6c préparer paifîblement pour ctre con-
duit au fîciiiîce.
Delà il fallut venir aux cheveux pour
les couper , & comme il n'y avoir dans
la Chambre qu'une fenêtre , qui étoit
oppofée à un des coins ou étoit le Ma-
réciiâl } il fe tourna le vifage contre le
D ij
( 70,
paroi , afin que l'Exécuteur vît mieux
pour lui faire ce dernier office , & lui
demanda s'il ne les lui couperoit pas
plus facilement , fe mettant à genoux ,
il lui dit qu'oui , & au même inftant ,il
s'agenouilla , & fe tint en cet état juf-
ques à ce qu'on lui eut fait les cheveux ;
cela fait, l'Exécuteur le voulant lier, il
témoigna qu'il eût bien défiré ne Terre
point , mais lui ayant dit qu'il le falloit
être, il bailla fes mains fans réplique:
comme on les lioit, ou palîoit les deux
bouts de la corde par derrière pour les
nouer fur les mains , 5c cela Ci court
qu'elles croient jointes au ventre, &i iî
ferrées qu'elles n'avoicnt aucun mouve-
ment , alors il dit à l'Exécuteur, qu'il
'lailTât la corde un peu plus longue, afin
qu'il pût porter fes mains jufques à fbn
vifage , ce que l'autre fit & au même
inftant le Maréchal liauftànt les mains,
palfa fon mouchoir fur fa face pour
eftuyer une eipcce de moîte fueur dont
elle étoit couverte. Il demanda qu'on
lui remît le Crucifix dans les mains, de
lui ayant été mis à la gauche , qui étoit
dellu's , il dcfira qu'on le mît à la droite.
Etant en cet état il regarda pitoyable-
ment fon ftin&: fes épaules découvertes.
( 77 )
& adrelTant la parole à ceux qui ctôienc
à l'entour de lui , qui n'étoient pas en
fi grand nombre qu'à l'ordinaire, parce
qu'on en avoir fait fortir une partie , &
l'autre étoit allée prendre place an lieu
de l'exécution , or fus diti! , Tame plei-
ne de courage & les yeux de ferveur ,
me voici en un érac où il ne faut plus
fonger à la terre; à la vérité cet état
étoit digne de cornpafîion , d'atter.-
drilTement 8c de larmes , de voir ce
grand homme, grand en tout, &r del-
prit & de corps, dépouillé, tout blanc
d'une vénérable vieilleiTe , lié de cordes ,
& bien changé de cette augufle preftan-
cc avec laquelle il donnoit les coniman-
demens &c les ordres dans les araices.
Hei mihi ! qualis erat, quantmn mutatus
ab illo
Hedore qui , &c.
Le Chevalier duGuet s'approcha de lui
en cette pofture , & voulant ouvrir la
bouche pour dire quelque chore,il s'ar-
rêta tout court , difant , Je ne fçaurois
parler , les larmes m'en empêchent ,
néanmoins Ce tournant vers le Maréchal ,
il lui dit, avez -vous encore quelque
chofe à dire , Monfieur : encore trois
D iij
( 78),
mors de confolacion répondit-il : ayant
dit ce'a , il Ce retira contre Ja muraille
& s'y appuya du dos ; ceux qui le con-
folûient fe mitent à Tentour de lui , &
le fieur Dupuy prenant la parole , lui
dit fept ou huit périodes. Un des Pères
Feuillans , après cela , le pria de leur faire
connokre fi Ton efprit ctoit dans la mê-
me afïïette qu'il étoit immédiatement au-
paravant , & s'il n'étoit pas en réfo'ution
de mourir dans la créance de TEolife
Romaine comme il avoir toujours pro-
ifcfté : ouï , dit- il, & rien n'efi: capable
de m'en fcparer ; il fit une feinblable
réponfe aux demandes que le Père lui
fît enfuite. Si toute l'efpérance de Ton
falur n'ctoit pas fondée fur la miféricor-
de divine & aux mérites du Filr de
Dieu 5 s'il ne pardonnoit pas à fes enne-
mis , & s'il n'avoît pas regret d'avoir
tant demeuré au monde pour y offenfer
Dieu fi fouvent qu'il avoir fait: Pour le
pardon des ennemis , je leur pardonne
de bien bon coeur , 6c du meilleur de
mon cœur, dit-il, en répétant généreu-
fement deux fois cette parole , & pour
le dépiaihr d'avoir otfenfé Dieu, mon
déplaifir eft de n'en avoir pas un aflez
grand pour ccl.i ; furquoi le fieur Dupuy
1
(79 )
dit qu'il ne pouvoir pas avoir une plus
parfaire dirpofition , puifque le plus
haut point ou pouvoit monter la contri-
tion , cY'toit d*avoir de la douleur da
n'en avoir pas alTez,
Sur cette alTurance, il fit trois ou qua-
tre pas vers la porte de la Chambre pour
aller au fupplice. Le Chevalier du Guet
l'arrêta au pallage & lui dit que le Roi,
par fa bonté, lui faifoit la grâce de ne
le pas monter fur une chareue , comme
les perionnes qui font dans un pareil
état, avoient coutume d'être conduits,
6c que pour cette conlîdération on avoir
tellement placé Téchaff-aut , qu'il en ren-
contreroit l'échelle en mettant le pied
hors du dernier degré de la Maifon de
Ville : dices au Roi , lui répondit il avec
humilicé.mais gravemenr,que je le remer-
cie tant de cetre grâce, que de beaucoup
d'autres que j'ai reçues de lui ; alTurez-le
que je meurs (on ferviteur très-humble ,
& que je lui demande pardon , non-feu !e-
ment des véritables dcplaifirs que je lui
peux avoir donné au cours de m.i vie ,
mais encore de tous les mécontentemens
qu'il peut avoir conçu contre moi , par
les mauvais offices que mes ennemis
m'ont rendu auprès de Si Majefié.
D iv
(Bo )
Cela dit, il forcit de la Chambre pour
aller à la mort ; il avoit à fes deux côtés
le Père Dom Euftache & le fieur Dupui ,
le fïeur Leclerc & Tautre Père Feuillant
le fuivoienr ,& l'Exccuteur-étoit derrière
lui. Comme il fut dans une petite anti-
chambre , proche de la Chambre d'où
il fortoir, il vit près delà porte le Gref-
fier qui l'attenJoir pour lui aller lire une
féconde fois fon Arrêt ; il Ce tourna vers
lui & lui dit , je vous prie de me re-
commander à Meilleurs les lu2;es , Se
de leur dire de ma part que je les fup-
plie de me pardonner tous les déplaifirs
qu'ils ont reçus de moi.
Puis il conrinua à marcher d'un porc
confiant Se alTuré, ayant la vue haiffce
Se fi arrêtée qu'il ne la tourna jamais
d'aucun côté, quoique les endroits de la
Maifon de Ville, par ou il pafTafulTenc
bordés de monde : étant arrivé fur le
Perron , on le fitarrêter pour ouir lecrî ,
qu'on appelle une féconde ledure de
l'Arrêt que l'Exécuteur répète à haute
voix après le Greffier : il écouta cela
fans émotion & fans dire mot , finon
quant on vint à nommer les Chefs de
fon accufaticn ; alors il dit voilà bien
des cas j cela me trouble , & comme il
fembloit qu'il voulût toucher quelque
chofe de Ton innocence, & s'étendre là-
deiTus , les Percs lui repréfenrerent qu'il
n'étoit pas nccelfaire , de peur , lui dirent-
ils, qu'en pariant de fon innocence, il
ne fût touché de quelque relTeniimenc
humain , ce qui le fit cefTer tout court ,
tant il tcmojana d'obéi^nce aux avis
qu'on lui donnoit pour Ton falut & pour
jui ouvrir plus facilement le chemin du
Ciel , poftpofant à cela fa juftification
devant le monde, qui eft un point au/ïï
fendble ;5c délicat que le défir en eft
naturel.
L'on le fit après monter fur l'échauf-
fauc qui étoit environ de fix pieds de
haut ; en montant , rExécuteur voulue
l'aider , mais il le repoulfa du coude. Le
Père Dom Heuftache , le Heur Dupuy,
l'Exécuteur & les valets le fuivirent :
aufll-tôi qu'il fut monté il fe mit à
genoux de lui-même pour fe préparer
à l'Exécution, mais on le fit relever parce
qu'il s'étoit trop avancé fur le bord.
L'on y vit deux hommes inconnus ,
dont l'un avoit un habit rouge , qui
n'ont point accoutumé d'être vus en
lelles aélions & qu'on n'a pu fcavoir à
quel dellein ils y étoient : il fe confefla
D V
là pour nne troillcnie fois. Son defir
écoir de n'être pas bandé, mais le lîeur
Dupuy lui repréfentant qu'il le devoir
permettre, quand ce ne fercit que pour
cvirer la vanité: H vous le prenez- là,
dic-il , qu*on me bande , & n'en parla
plus , & comme l'iixccuteur le bandoit,
il lui demanda ; s'il ne lui pardonnoit
pas fa mort , mon ami , lui repondit- il,
ce n*eft pas vous qui me faites mourir,
mais je vous pardonne le coup & ma
mort à mes ennemis.
On ht les piiéres accoutumées j &
peu devant ce remps-là , TExccuteur le
difpofa , lui enfonça bien avant dans la
main le Crucifix , de crainte que Ton
épée en palfant ne le rencontrât , lui
releva le menton , & lui prenant la tête
(ntre les mains, la lui redreffa , lui
paifa trois ou quatre fois la main fur le
col pour en faire tomber les cheveux ,
&: puis prenant Ton épée, d'un feul coup
lui répara la tête du corps : on entendit
en mcme temps le coup de l'épée, &
le bruit que laicte & le tronc firent en
tombant (ur l'échaufFaut, d'où la icte
faifant un bond , cheut à terre , &: y fut
rejettée par des foldats : ainfi mourut
généreufement ôc chrétiennement ce
( S5 )
brave Maréchal , accompagné viflble-
nienc & fenkblernenc des larmes 6c re-
crrets de tout le monde qui afriftoic à
fon exécution,
A peine le corps fut-il fans vie que
les valets de l'Exccuteur fe mirent après
pour le dépouiller , quand le Greffier
qui avoic fervi à fon Procès fendant la
prefTe , & s'approcham de Téchaffaut les
fit arrêter & empêcha qu'on ne mît le
corpsànudi & en effet il eft croyable,
de rhumeur fordide & infâme de cette
forte de gens , qu'à peine lui euiTent-ils
laifTé fa chemife , fi leur efpric ami^ du
gain , & d'où l'honneur efl banni, n'eût
trouvé de rempcchement.
Cependant un carofTe de deuil s'ap-
procha, où étoient quelques domefti-
ques du feu Maréchal , & pendant qu®
fon ame fut enlevée au Ciel , comme
les vertus Chrétiennes qui ont paru en
lui à fa mort , en un degré héroïque ,
rendent cette créance bien certaine ,
fon corps & fa tête furent mis dans ce
earode & portés au Logis de Madame
de Marillac fa nièce en la rue Chapon ,
luivi d'une (1 grande quantité de peuple,
que c étoit merveille de voir cette pompe
funèbre accourant de toutes parts , où le
D v)
. ( S4 )
caroHe paHoit , avec mille vœux & hé-
nédidions qu'on lui donnoit tout haut.
Dans celte maifon la tête fût jointe
ê^ coufuë au corps qui fut ouvert pour
en tirer îe cœur, & le porter aux Car-
mclines de Pontoife , auprès de celui
de Madame fa femme , fon corps fut
mis après avoir été enbaumé dans Con
cercueil de plomb &c expofé fous un
poîle dans la falle rendue de noir, ayant
autour pîufieurs cierges allumés , où il
demeura jufques au lendemain Mardi
fept heures du foir : pendant tout ce
temps , Tes parens & amis lui vinrent
jetter de l'eau bénite avec pîufieurs au-
tres perfonnes de qualité & un fi grand
concours de monde, qu'on Teftima ]uC-
ques au nombre de quarante mille per-
fonnes, qui tous la larme à Tœil , di-
foient hautement qu'ils venoient plutôt
pour Ce recommander à fes prières, que
pour prier Dieu pour lui , s*eftimant bien
heureux d'emporter, les uns un mor-
ceau de linge trempé dans Ton fang , les
autres une parcelle de la corde donc il
avoit été lié , qui fut défilée & mife en
pîufieurs pièces à cet effet , tant ils
avoient d'eftime & d'opinion de Ta gloire
dans le Ciel.
Il fut conduic ce foir-là même dans
Ton carofTe en l'Eglife des Pères Feuil-
lans par la porre de Montmartre , parce
que celle de (ainr Honoré étoit fermée
dès Paprcs dîné pour quelque cliofe qu'il
y avoir à faire au pavé : Tes parens &
amis l'accompagnèrent dans leurs ca-
roffes fuivis d'une multitude de peuple
fans nombre qui Ce preffoient à l'envie
à qui toucheroit le carofle qui portoit
fon corps : les Religieux avec chacun
un cierge allumé à la main le reçurent
à la porte de l'Eglife, & après l'avoir
placé au milieu de la Nef, & fait fur
lui les prières & les encenfemens ac-
coutumés le defcendirent dans la cave
de fa Chapelle.
Le lendemain 12» Mai on fît un fer-
vice pour lui en la même Eglife , on
aiïifterent ceux de fa fan\ille & de Ca
parenté , avec quantité d'autres perfon-
nes qualifiées , & ceux de fes amis qui
fe trouvèrent à Paris : à l'iffue du fervice,
l'aumône fut faite à tous ceux qui fe
préfenterenr.
Nous le laiderons donc repoier en
paix , en l'attente de la réfurredion fi-
nale, au dernier jugement 3 où Dieu
( 8^ )
révélera les fecrets des cœurs , ^ ren-
dra à chacun f:lon Tes œuvres, pendant
que les beaux elprits du temps s'exer-
ceront à lui drelîer des épitaphes & à
honorer fa belle mort par leurs écrits >
nous nous contenterons dédire de lui,
prophétiquement après l'Ecriture fainte,
Lampas contempla apud coghationes
Principum parata ad tempus jlatutum
revelari. Job, i2.
ENSUIT l'Arrêt donné contre te Ma-
réchal de Marillac.
Extrait des Réj^iflres de la Chambre
fouveraine établie par le Roi à Rueil
en Parifis.
VU par la Chambre fouveraine éta-
blie par le Roi à Rueil en Partfîs ,
le Procès criminel extraordinairemeuc
fait par les Cpmmiiïaires à ce députes ,
à la requête du Procureur général de fa
Maieflé à KUiTire Louis de Marillac
Maréchal de France , Lieutenant pont le
Roi es pays MeiTm , Thoul & Verdun,
Gouverneur des Villes & Citadelles de
^ ( ^7 )
Verdun, prisonnier au Château dudit
Rueil , accu(c de crimes de pcculat ,
concuffion , levée de deniers , exadions ,
faulTetcs & fuppofitions de quittances ,
foulle & opprelîîon faite fur les fujets
du Roi, informations faites par lefdics
CommifTaires fuivanr les Coa"imi{Iions
du Roi dès 3. & 16, Décembre 1650.
Lettres- Patentes du i j. May, 12. Juin
& i. Juillet iijji. pour procéder par
lefdits Commiffaires y dénommes , à
rinftrudion & jugement dudit Procès
en ladite Ville de Verdun , interrogatoi-
res , réponfes , confeiïions & dénégations
duditde Marillac, Procès-verbaux deré-
colement,& confrontations des témoins»
extraits des faits jullificatifs , reproches
dudtt accufé , nominations de témoins
fur iceux , Arrêt donné par lefdits Com-
mifTaires fur la Requête duJit Procureur
général le 20. Ocftobre fuivant , conte-
nant qu'il auroit communication daàît
extrait , requêtes dudit Procureur géné-
ral du 29. dudit mois & 10. Novembre
fuivant a ce qu'ayant égard, que la preu-
ve d'office que ledit accufé prétendoic
faire defdits jufliiîcarifs & de reproches,
étoit fuperflue & inutile , parce qu'il
vérifieroit le contraire par pièces authea-
(SS )
tiques, confentant néanmoins que le fait
concernant un nommé Pefnart fut tenu
pour prouvé , & que les dépofitions fai-
tes par le fieur de Vaubecour, & Gabriel
de Langrec , ne fudenr vues , & fut dit ,
que les parties mettroient leurs pièces
par devers le Greffe, Arrêt dndit lo.
Novembre , par lequel ayant égard aux
déclarations , & conff nrement dudit Pro-
cureur général , auroit été ordonné qu'il
ne feroit fait preuve defdits faits contenus
es I. 3. des faits, & fans préjudice des
preuves prétendues réfulter des pièces
produites par ledit Procureur général ,
qu'il feroit procédé à l'examen des té-
moins dénommés par ledit accufé fur
le fait d'abfence par lui allégué , Arrêt du
Confeil d'Erat donné à Château Thierry
le 9. dudit mois de Novembre > conte-
nant que toutes lesrécufations propofées
par ledit de Marillac contre aucun de
Ces Juge? , feront portées à Sa Majeflé
par le Greffier, pour icelles vuc> , or-
donner ce qu'il appartiendra ; autre Arrêt
dudit Confeil d'Etat tenu à Metz le 22.
dudit mois de Décembre fuivant , par
lequel ayant ég.^rd à la déclaration ôc
confentement dudit Procureur général,
fans s'arrêter aux Arrêts duJit Verdun ,
(«9 )
en ce qui concernoic la preuve dudit fait
d'abfence, auroit été ordonné que les
parties remettroient es mains dudit Gref-
fier dans la quinzaine , toutes pièces ,
donc elles s'entendoient aider , requct'e
préfentée à Sa Majeflé par ledit de Ma-
rillac, à ce que le délai à lui donné
pour produire , lui fut prolongé , & com-
pulfoire oiiroyé pour le recouvrement
de toutes pièces. Arrêt donné audit Con-
feil le 27. Janvier , contenant prolon-
gation dudit délai de 1 f . Jours , & ledic
compulfoire ocVroyé, Lettres - Patentes
dès 4. 8. & 10. Mars en fuivanr, con-
temnc qu'il feroic procédé par les Com-
mifTaires y dénommés au jugement dudit
Procès audit Rueil ; Arrêts donnés par
ladire Chambre les 15. & 16. dudit mois
de Nfars, &c 15}. Avril fuivant,par lef-
quels auroit été ordonné qu'il feroit pro-
cédé à la vérification des écritures &c
fignarures dudit de Marillac , & autres
produites par ledit Procureur général,
par experts dont les parties conviendront.
Arrêt du i6. Mars contenant nomina-
tions faites d'office defdits experts fur le
refus defdits parties d'en convenir. Pro-
cès-verbaux de vérification defdits écri-
tures & (îgnatures , dès Z4. & z(5. dudit
( 90 )
mois de Mars, & 25. dudit Avril, pro-
mefles faites par ledit de Marillac à
Jacques Drouarr prétendu inunition-
iiaire en l'armce de Champagne, dès
II. Mars & I. Juin 1625. par leiquels
il auroit promis audit Drouart de le dé-
dommap^er & indemnifer de tous rifques
qu'il pourroic encourir à caufe de deux
contrats qu'il avoir pafTé touchant le pain
de munition , & des quittances par lui
fîgnées pour la réception des deniers or-
donnes pour le pav-"tnent dudit pain ,
attendu que ledit Drouart n'auroit re(^u
iceux & ne faifoit que lui prêter foa
nom : Arrêt du ï6, dudit mois d'Avril ,
contenant que lefdites promelfes & autres
piccesénoncéesen icelui , feroient repré-
ientées audit de Marillac , pour erre
par lui reconnues , d: en cas de dénéga-
tion, pêtmis audit Procureur général de
faire procéder à la vérification d'iceux
par témoins, experts , Procès-vc-rbal ài^(-
dits CommilTaires deldits jours, conte-
nant le refus fait par ledit de Marillac
de reconnoître l'écriture defiiis promef-
fes &c autres pièces à lui repréfentées.
Arrêt du 29. Avril fur la requête dudit
de Marillac , par lequel ayant égard à
la déclaration , qu'il confcntoit que les
( 91 )
cinq fignatures de Louis de Marillac
appofées aux deux promefTes d'in-^emnité
par lui faites audit Drouart lefdits i i.
Mars & i.Juin 1 615. & des trois mi (ïi-
ves des 6. Juillet & 5. Mai 1650. furent
tenues pour bien reconnues, auroit or-
donné que ladite requête feroit mife au
fac, proiuâ:ions tant dudit Procureur
général que dudit accufé , requête dudit
de Marillac des 19. Avril & 4. du pré-
fent mois de Mai avec fes écritures ,
motif de druir, & autres pièces jointes
auflî mifes au fac , conclufîons dudit Pro-
cureur général ; ledit accufé oui & in-
terrogé fur la fellere , & tour confideré.
LADITE CHAMBRE a déclaré & dé-
clare ledit de Marillac atteint &c con-
vaincu defdirs crimes de péculat, con-
cuffions , levées de deniers , exadions,
faulTctés 8c fuppofTtion de quittartiîés >
foulle & oppreflion faite fur les (ujets
du Roi, pour réparation defquels, l'a
privé & prive de tous honneurs , états
& dignités Se Ta condamne & coiidamne
à avoir par l'Exécuteur de la Haute
Juftice, la tête tranchée fur un échauf-
faut , qui pour cet effet fera dreffé en
la place de Grève de la Ville de Paris ,
( 9i )
ordonne que les terres , fiefs , domai-
nes qu'il tient de Sa Majefté, ducment
réunis à la Couronne , & le furplus de
tous Tes biens acquis & confifqués au
Roi , (ur lefquels fera préalablement pris
la femme de cent mille livres , pour
employer à la reftitution des chofes par
lui exigées tant fur les Communautés
qu'autres particuliers. Donné le S. Mai
1632. Signé V11.IQ1 JE.
(5)5 )
MANIFESTE de la France aux Pa-
rijîens & à ccuc le peuple François.
IL me femble , Mefîîeurs , que fi la
folie , comme l'yvrognerie a pour
cuver* & recuire fesmauvaifes humeurs,
fes accès réglez , &c Ton temps limité ,
qu'il eft bien laifon maintenant que cha-
1 cun de vous reconnoiffe , comme celui
I qui yvre & endormi a été porté à la
j gueule des loups j l'abyfme & le goufïre
I dangereux oîi cette mouche de Lorrai-
1 ne , qui efl: la ligue, vous a aujourd'hui
\ tous précipités.
il Confiderez , je vous prie, ou vous en
I êtes maintenant venus, jugez de ce def-
P fèin par Ton événement, de cette caufe
' par Tes effets , Se épluchant l'origine &
toutes les tiffures de cette piperie pu-
blique jreconnoiflez votre éblouiffemenc
& vos fautes , Se confelfez que jamais
les compagnons d'UlyfTe ne furent par
les enchantemens d'UiyfTe tant abufez ,
que vous l'avez été par cette tromperie
fubtile.
Il n'eft plus temps de faire les idiots
( 94 )
jVi les infenfibles au jugement de cette
maladie, elle eft grande, elle ell mor-
telle , ëc qui porte vifiblement vos jours
à kur dernière ruine, (ouvenez - vous
donc du remps que ce ir.al vous vint
premièrement allaillir , & par quelle
porte il pénétra le dedans & frontières
de cet Etat.
C'étoit , difoit- on , pour la manuten-
tion de l'Eglife Catholique Apoftolique
Se Romaine, iorfque le Royaume étoit
plus paifible , la Religion Catholique
plus florifTanre j & les crainres aportées,
qui regardoient la fucceflion de l'Etat ,
plus éloignées , Iorfque ceux de la Pré-
tendue Reformée Religion vivoient plus
retenus &c relTerrez fous les Edits du
Prince , &' tous les Etats du Royaume
plus réglez & ordonnez ; lors naquit
cette Fée de Lorraine.
Son commencement fut foible pour
îa vie & la préfence du Duc d'Anjou ,
qui empêchoit fa croifTance, & lafaifoic
faner. On fçait les moyens qui furent
tenus pour lever cet empêchement , Ten-
treprife de Saîcedo, fon accufation , &
fes confeffîons en firent foi , * enfin
l'empoilonnement de ce Prince pratiqué
f Voyez le Recueil £.
(95)
dans Paris. Ce grand coup d'érat faic,
cette Pandore entra incominent armée
parmi nous , elle troubla auiïitôc la tran-
quillité publique , elle changea la féré-
nité de notre hccle , & ouvrant fa boè'te
enchantée , diilribua Ton poifon dans
tous les ordres du Royaume. On vie
incontinent frémir les peuples , murmu-
rer les lujets , fe foulever les Provinces ,
tempefter tout le monde , & toutes cho-
fes tendre à une rébellion ouverte. Il
fembla que Dieu eut ordonné cette fu-
reur , exécurrice de Tes vengeances oc-
cultes , Se le public fléau dont il vouloir
châtier l'orgueil & les crimes des Fran-
Les Guifes qui etoient Auteurs de ce
mal , & qui ne Tavoienc inventé que
pour^alTer par ce pont toute leur for-
tune au plus haut faîte delà Monarchie,
& s'emparer de l'Etat , ne cefToient nuit
ôc jour de travailler pour lui donner par
tout entrée , & rendre Tes effets puiC-
fants ; lî bien que l'on vit delà, comme
d'un fubit éclat de tonnerre , toute la
France embrafée en un infiant , & les
guerres allumées de tous côtés.
Les caufes de ce foulevement fondées
fur les ordinaires bifferies des mal con-
tents, fur le bien public, & fur le zcle
de la Religion ; mais cette drogue fut
bientôt éventée par la paix qui fuivir.
Car ce foin contrefait du peuple , fut
converti en une fimple difcuiïion de leurs
intérêts privez, & tout ce qui concer-
noit votre foulagement , fut mis fous
le pied, ainfi le zèle enragé de con-
fcience qui bruloit leurs poitrines, fut
rafraichî des larmes & du dommage du
peuple même, & toutes leurs huées du
lîien public ceflerent en cette galanterie
de Renard.
Voyez depuis quelles furent leurs
pourfuites , que devint cette grande ar-
mée du Duc de Mayenne , pour fou-
droyer, comme ils fe vantoient , tout
le monde habitable i II vous fit bien
connoître que contre des hommes ar-
més , leurs vanteries importune?^ n'é-
toient que bruits de femmes , & jeux
d'enfans , ôc qu'ils étoient plus propres
à mener des pratiques parmi un peuple,
que non pas à combattre des ennemis.
Et voyant qu'il n'y avoir rien à gagner
pour eux contre les Huguenots, ils quit-
tèrent cette efcrime périlleufe, & fe re-
mirent à leur première chaffe parmi le
peuple , à contrefaire dans les villes les
papelards^
I
( 97)
Papelards , porter les grands Chapelers
à la ceinture , faire fouvent au peuple
largefTe de pain bénit , contrefaire les
populaires, & fe trouver en apparat à
toutes procefîions , fi que [a] la nature
du peuple comme liquéfiée par ces blan-
diflemens [/>],& détrempée dans ces
poifbns, couloir en leurs paiïîons, qui
le rendoit plus prenable par ces artifices,
& moins remparé contre ces cautel-
les [c-].
Et pour ne rien négliger à le difpofer
davantage en leur faveur, ils gagnèrent
, tous les prêcheurs ordinaires , en pro-
mettant à ceux qui n'avoient qu'une Cu-
re , un Evêché,aux fimples Chapelains,
des Cures & Prieurés , & aux autres des
penfions ordinaires : fi bien que corrom-
pus par ces intérêts^ de Sorboniftes ,
ils fe firent des boutte-feux publics,
& de Prédicateurs des Encomiaftes [d]
de la maifon de Lorraine , Se chacune
de leurs chaires devint une école de po-
lice.
Il vous fouviendra, Meflîeurs, lon-
■ a] De manière.
[h] Careiles , flateries,
c ] Prémuni contre ces rufes.
'_d] Panégiriftes.
Recueil O, E
giiement de la journée des barricades,
où vous conutes alTez clairement les def-
feins du DucdeGuife, qui fous prétexte
d'empêcher la correélion de douze ou
quinze mauvais garnemens , & entre-
metteurs de fes pratiques, vous fit tous
armera fouiever contre votre Roi, cher-
chant à vous engager , comme il fit par
quelqu'extrême méchanceté, en Ton par-
ti , & vous obliger par ce crime de fé-
lonie à lui. Ou Ce fervant de votre fim-
plicité , il fçut fi finement, aiguifer vos
fureurs , qu'il vous fit porter la marotte,
de vous fit indignement ouvrir la guerre
contre votre pays , & contre votre Prince
naturel.
Dites moi, je vous prie, avec quel
front on peut défendre ce qu'il fit lors
parmi vous , ou comme en une ville
nouvellement conquife , il fe faifit de
îoutes les fortereffes , en dejettant [e"}
par grande violence tous les ferviteurs
du Roi qui les tenoienr. Il changea tout
le gouvernement de la ville , & tous
les Capitaines , il compofa une nou-
velle garnifon dedans , & arma tous les
plus diffames & les plus méchants : bref,
:î\ fit tout ce que peut faire un nouveau
[e] .diaflant.
i 5p )
tyran , qui Ce veut contre les loîx aflTurer
de la poflefîion d'une ville. Tout cela
n'étoit autre chofe qu'être bon Catho-
lique , ce n'étoit point attenter contre
l'Etat, non cela feulement , c'étoit l'cpée
irenchante en la main, faire le Roi fu-
perbement & avec oftentation.
Mais qui peut fupporter l'impudence
de cette dénégation , quand on confi-
dere qu'il fut encore fi naivement ga-
land de mander par toutes les villes du
Royaume , qu'elles n'euHent point à y
recevoir le Roi , le voulant quafi inter-
dire de feu & d'eau , Se le contraindre
honteufemeut à demander la vie pour
Dieu?
Je ne fçais, Meflîeurs » quel exorcifme
vous pourroit retirer de cet enchante-
ment, fi toutes ces chofes n'y peuvent
rien ; mais ajoutez encore ce qui Ce pafîà
jufqu'à fa mort, voyez fes déportemens
violens aux Etats de Blois ; Car le Roi
qui avoir eftimé cette aiïèmblée nécef-
faire pour pourveoirà tous les defordres
d^e fon Royaume , contenter Con peu-
ple, & s'alTurer contre les ouvertes pra-
tiques de cet hardy entrepreneur , s'y
trouvant en perfonne , il fut étonné , que'
penfant être au milieu de Ces fujets , il
E ij
( 100 )
fe vit de toutes parts environné d'enne-
mis , qrii drelToient des embûches à fa
vie & à Ton Etat , & dont le Ducde Guife
étoit le Chef & le Directeur, qui publi-
quement , ôc fans y mêler plus d'artifi-
ces , faifoit ce qu'il pouvoit pour l'exau-
thorer [f] , & le réduire à tel point ,
qu'il ne lui reftât qu'autant de puiflance,
& pour tel teiHps qu'il lui plairoit, n'y
ufant non plus de diffimulation , que ce-
lui qui porte la coignée au pied d'un
grand chefne pour Tabbatre ôc porter
par terre.
Et comme ilavoitprépaté toutes cho-
fes pour fe faidr de ce pauvre Prince,
èz le mener en triomphe captif dans
Paris, Dieu qui développe les prétextes
des injuftices , Se qui renverfe fouvent
fur le ieuil de fa porte , celui qui fe pré-
paroit à un long voyage , arrêta tout
court le grand veneur , & lui fufcita
d'aufli impitoyables amis , comme il
avoit été fanglant 3<: implacable en la per-
fécution de tant de pauvres gens de la
Religion , tellement que cette confpira-
tion divinernent découverte, le Roi le
prévint feulement d'un jour,& fut con-
\ f] Lui faire perdre, le priver de fon au-
tcrité.
(loi;
traint pour les dangers préfens , comme
il eft accoutumé en tel cas d'Etat , de
commencer par rexécuiion & par la voye
de fait.
Combien font grands les jugemens
de Dieu : celui qui cette grande jour-
née de fang & cette journée flambante
de faint Barthelemi, avoir repu fes yeux
de tant de malTacres , & qui en avoic
chanté le triomphe , a été enfin abbatu
d'un même effort.
Cette mort iembla parmi vous avoir
ouvert toutes les digues &c rompu rous
les reflorts des Enfers , 6c débordé fur
ce miférable Etat tous les feux d'ire ôc
de vengeance. Et comme nianiacles &
gens forcenez , vous reçûtes cette occa.
lion comme un flambeau pour allumer
les feux parmi vou?.
Ce n'eft point ici le lieu où je veuille
prodiguer des paroies, pour vous mon-
trer que le Roi l'avoir jugement fait ,
qu'il ne le pouvoir autrement, ëc qu'il
l'avoir ainfi dû faire : ailleurs cela, ôc
toutefois vous dirai-je en padant , que
le Pape Grégoire dernier le fît encore
bien plus crueraent ; car lui qui dévoie
pour Ton degré conferver fes mains nettes
& immaculées de fang, fit pourtant par
E ii]
( lOl )
/à Bulle , fans forme ni ordre de îufti-
ce , afTafliner cruellement le Seigneur
Patris , Grand- Vicaire du feu Cardinal
d'Armagnac, pour avoir feulement conçu
un foupçon qu'il favorifoitdans Avignon
le parti François. Le Duc de Mayenne
ne fut pas plus modéré envers le pauvre
Birague , l'un des plus fidèles de fon
parti, lequel fur un débile fujet, l'af-
faflîna de Tes propres mains.
Mais encore quand bien , en cela , le
Roi auroit fait quelque chofe moins
que bien , vous appartenoit-il d'en pren-
dre connoifTance, & comme frénétiques
& efprits de Bacchantes , courir aux ar-
mes , & vous élever contre lui? Car il
cft certain que Ci toutes les autres Pro-
vinces avoient , pour fes immodérées li-
béralitez quelque probable fujet de fe
douloir [g] de lui , leurs dommages ont
accru vos familles, & votre ville a été
l'éponge qui s'efl: grofîîe des mines pu-
bliques , & fa préfence & la fréquence
[h] de fa Cour chez vous , avoit en dix
ans triplé vos richefTes.
Qui vous foUicitoit donc à une (î in-
fâme rébellion ? Vos intérêts domefti-
fgl Se plaindre.
(h] Grande fuite de Courcifans.
( 103 )
qnes ne le pouvoienc faire ; des ofFenfês
publiques , des injures privées ? il n'y
en avoit point , de prétexte de Religion ,
encore moins ; la vengeance du mort ne
vous appartenoit , la Loi de Dieu le
vous défendoit, routes lesloix du monde
y réfiftoient. Quelle pouvoit donc être
la caufe d'une fi grande commotion , 8c
de tant de fureurs î Non , non , croyez
que c'ell Dieu qui a voulu par votre
propre fer , & par vos mains mêmes
vous défaire. Votre malice avoit monté
à fon comble , & la pompe & le luxe
s'étoient trop domefliquez chez vous ,
vous étiez trop attachez aux bauges [ij
& au duvet d'Epicure, & dormiez trop
oifeufement dans les délices, voire or-
gueil & vos richeffes vous ont font ou-
blier Dieu , & il vous a donné un fens
reprouvé.
Confidérez je vous prie , aujourd'hui
l'Etat de notre ville , n'a guères la plus
célèbre & la plus opulence de l'Europe,
en quelles mains elle eft venue, & fous
quels Gouverneurs î Si des déferts d'Af-
frique vous euffiez fait venir tous les
troupeaux de bêtes cruelles pour la dé-
[i] Bombances , profufîons , excès de
viandes,
E iv
( 104 )
peupler & rendre deferte, en pouvîez-
vous plutôt avancer la ruine? Et fi vous
cherchez les chiens de cette chaflè ,
vous trouverez que ce ne font ceux qui
alloient par le paflTé de porte en portes
flairer les éviers [k] , bêtes de bouche-
rie & de carnage , les ordures & les plus
viles excremens de votre ville, & donc
les uns fe font emparez d'une fortereiïè,
les autres d'une autre , pour s'alTurer
contre la puilfance du Magiftrat , &
brigander plus impunément tout le
monde.
N'avez -vous point de honte, vous
autres Bourgeois anciens & bons mar-
chands , qui pofTedez des biens de jufte
acqueft ; qui compofez la partie la plus
faine & la plus entière de la Cité , qui
ne pouvez conferver vos familles que
par un ordre , Se par une police , de
foufFrir parmi vous ces poudreux matois,
& ces loups raviiïans , $c que vous ne
convenez tous pour repnrger votre ville
de ces mauvais garnemens & de vendi-
quer la fôreté publique? Car à dire vrai
votre ville eft aujourd'hui par la pré-
fence de ces hommes , devenue une
[ il- ] Canaux des cuifines pour faire ccoulet
les eaux.
( lOT )
nouvelle Egypte , où toutes foites de
villoneries [/j de vols publics, &: de
rançonnemens s'exercent.
Ne vous prend il point envie de vo-
mir , quand vous voyez devant vos yeux
ces harpies publiques, un CommilTaire
Louchard, un Larue , Lec'erc, Olivier ,
Senault & leurs compagnons, n'a gucres
batteurs de pavé , èc pauvres béliflres
fe promener maintenant parmi vous ac-
compagnez d'une grande fuite , & en-
richis du fuc des meilleures maifons?
.Mais il une étrange ftupeur [m] vous
tient, âc que vous foyez fi infenllbles,
que les ruines de vos voifins , de vos
concitoyens , & de tant de gens de bien
ne vous puilTent mouvoir , ouvrez pour
le moins les yeux fur vous mêmes , &
voyez votre ruine préfente , jugez que
peut être la durée d'un gouvernement
fi violent, fi fanguinaire , fi confus, G.
plein d'extorfions î Combien peut durer
debout une République , où tous les
ordres font pervertis , le Temple de juf-
tice poilu , les crimes impunis, l'inno-
cence opprimée & la violence en règne
où les Magiftrats font fans commande-
[/ ] Infamies.
£otj Effroi.
Et
( \o6 )
ment , le peuple fans obéiflance , les
loix fans autorité , les gens de bien fans
fuffrages , & où les plus vils & les plus
méchans commandent.
Mais quand toutes ces confidérations
cefleroient , que penfez-vous devenir ?
Vous penfez-vous égaux pour foûtenir
le faix ^e tant de guerres où vous vous
êtes jettez , pour vous oppofer à un 11
grand Roi, & le plus grand Capitaine
de l'Hurope ? A toute la NoblelTe, à tout
îe corps Ariflocratique de la France? A
toutes les forces d'Allemagne , de Dan-
nemarc , de Suéde , d'Angleterre &
d'EcofTe ? Ne voyez-vous pas que c'eft
fur vous que toutes ces armes vont fon-
dre j & que votre ville fera l'échafFauc
où tous les ades de cette grande tra-
gédie fè joueront ? Quoi donc les autres
villes qui font entrées en ligue avec
vous, vous fecoureront ? Vous vous abu-
fez , penfez que chacune d'elles , en cette
conflagration publique , fe trouvera affez
empêchée pour fe garder & fe maintenir ,
fans étendre des fecours à fes voifins.
Confidérez , je vous prie, en quel-
les perpicxitez vous vous trouverez im-
pliquez. Vous aurez toujours à vos portes
les armées des ennemis Ôi amis , car ce
( IC7)
que pourra le Roi metrre de forces en-
femble , donnera toujours à vous , com-
me étant votre prife la gloire de Tes
conquêtes , & le loyer [n] de Tes guerres,
contre lefquelles vous ne pourrez vous
garentir, fi vous ne nourrilTez toujours
une groffe armée dans vos murailles,
qui vous défera toujours autant que celle
des ennemis mêmes. Oîi tourneront en
ces exrrémitez vos ei'pérances ? Vous
vous jetterez , dit-on , entre les bras des
Efpagnols. QLiels embrafferaens amou-
reux ! Mais croyez qu'ils Ce jetteront
bien mieux entre les bras de vos fem-
mes.Ils font Affricains ,jb.ifanez, chauds,
recuits [o] fubtiles, & qui feront bien
fans doute leurs affaires parmi vous.
Que ce fera un beau mélange d'un Pa-
rifîen & d'un Efpagnol , d'un pigeon &c
d'un milan , la belle lociété , d'un renard
& d'un oyfon !
Pauvres gens, fi vous connoifïïez le
naturel del'Efpagnol, vous courriez plu-
tôt à la mort qu'à ce refuge. S'il mec
le pied dans votre maifon , vous y aurez
un maître infupportable , un concubi-
naire néceffaire , un adultère violent ,
[ n ] Récompenfe , prix.
[ o] Tins , rufez,
E V]
( io8 )
un tyran impitoyable , & au lieu d'un
hofte, un loup dans votre famille. Sça-
chez leurs déportemens aux Indes, en
Portugal, en Flandres, en Italie, & en
tous les lieux où ils ont étendu leur
Empire. Demandez aux Milanois & aux
Napolitains , combien eft douce leur do-
inination. Demandez aux Flamands ,
lesquels pour la férocité de leurs mœurs ,
& leur impudique converfation , ils ne
retiennent qu'à force de mords & de
groflès garnifons.
Confidérez l'inégalité de ces deux
naturels, le François efl libéral, fidèle,
brave , magnanime , courtois & amateur
de fimplicité : rEfpagnol eft fuperbe ,
avare, cruel, envieux, foupçonneux ,
înfolent , grand vanteur , grand often-
tateur , 8c par- tout incompatible.
S'ils fe mêlent donc une fois parmi
vous, adieu la pudicité de vos femmes,
adieu l'honnêteté publique , adieu votre
liberté, adieu vos liefTes. L'Inquifition
fera incontinent parmi vous , & félon
que plus ou moins chacun de vous pof-
fédera , il fentira mal de la foi, [p]
vos belles femmes Se vos belles maifons
vous feront tous les jours criminels d'hé-
[p] 11 n'auront point de foi, de Religion.
( 109 )
téfie. Vous ferez comme bêtes de fom-
me, &: caftadours [<^] miférahles dépar-
tis dans les villes aux corvées ôc aux
oeuvres les plus viles ; vous ferez par
milliers tranfportez aux Indes pour y
grarer les mines , vos portaux & poteaux
publics feront reparez de vos têtes , &c
toutes les entrées de vos villes décorées
de gibets & de fourches publiques pour
vous.
Enquerez-vous, je vous prie, com-
bien de milliers d'hommes ils ont cruel-
lement éteint dans les Indes ; combien
en Flandres , combien en Portugal T On
n'y voit dans les places publiques que
quartiers d'hommes détranchez , [r] que
corps empaliez, que piloris regorgeant
de fang Ôc de carnage , qu'enfeignes pu-
bliques de tyrannie, & où les prétextes
de cruauté manquoient , ils empoifon-
noient les hommes pour époufer leurs
femmes , & s'emparer de leurs biens ôc
de leurs maifons.
Voilà donc en ce parti defefpéré , les
hommes auxquels vous aurez à faire.
Mais le Pape, dites -vous, vous le
commande , il vous a donnez à lui , &
[q] Gens de force,
[r] Coupez,
( IIO )
votre confcience vous y oblige. Pauvresr
gens infenfez , c'eft bien dommage qu'il
ne vous donne au Diable , puifque vous
Trouvez bon qu'il faflfe de vous comme
des cabales de Tes Juifs , ou des loyers
de fes courcifanes. Mais fi vous êtes
marchandife Ci troquable , & de fi bonne
vente, le faint Père feroit encore mieux
de vous tranfporter par vailTeaux de
charge fur les Havres de la Morée &
d'Egypte pour vous vendre aux Turcs
& aux Mores, il en tireroit encore plus
d'argent qu'il ne fera du Roi d'Efpagne.
Quelle mocquerie du monde ! Que di-
roient aujourd'hui un Philippe Augufte,
un Philippe le Bel , un Louis douze ,
Rois très-excellents & très- Catholiques ,
s'ils revivoient, qui ont fi bien châtié
de leurs temps les infolences des Papes?
Quel malheur qu'il femble fatal à la
Chrérienté , que ces bons Lieutenans
de Dieu foient toujours le flambeau de
l'Europe , & le champ qui produit
l'yvraie, &c la difcorde mortelle entre
Içf Chrétiens. Qu'on les ait toujours
vus de ficelé en fiécle , non comme une
fplendeur éclaire fur la pouppe de ce
vaiffeau , mais comme une grenade , ou
nn cercle de feu embrafec toute l'Eu-
(III )
rope , Se mouvoir toujours des guerres
entre les Chrétiens? Ils nous ont depuis
cinq cens ans bien fait connoître qu'ils
avoient reçu les clefs & la fucceiïion
de faint Pierre, non pour ouvrir & dif-
penfer les grâces & bénédi(3:ions du
Ciel , mais pour crocheter tous les trc-
fors de l'Orient & d'Occident , & piller
toutes les richelTes du monde. Qu'ils
avoient aufli reçu la puiflance de lier 6c
délier, non pour abfoudre ou obliger
les pécheurs , mais pour enchaîner tous
les Rois 6c les Princes de la terre, ôc
fur routes les Puiflances terriennes exer-
cer une tyrannie abfolue.
Que fi ces excellentes lumières de la
Chrétienté revivoienc , un faint Jérô-
me, un faint Auguftin & leurs compa-
gnons , Fondateurs de cette divine Nef»
que diroient-ils aujourd'hui devoir, au
lieu de faint Pierre , ProfefTeur de pau-
vreté , précepteur d'humilité , exemple
de fimplicité , &c exhortant d'obédience ,
un fuperbe Crcefus , tout reluifant d'or
& de richeffes , couronné de plufieurs
Couronnes , tout diapré , tout emperlé,
tout argenté , tout phaleré, [s] élevé
hautement comme un Bajazet , ou un
[s] Rempli de bijoux & ornemens.
( IIO
Solyman, fur un trône fuperbe, envi-
ronné de gardes , de foldars , de garni-
ions, & d'une Cour magnifique, com-
mandant orgueilleufement au Ciel & à
la terre, donnant & ôrant à qui il veut
les Principautez & les Royaumes , &c
foulant aux pieds toute la rondeur du
monde? Que penferoient-ils voir? ne
penferoient-ils point au lieu d'être ici
haut , fe promener parmi les Enfers ,
& au lieu d'un fucceffeur de faint Pierre ,
voir le Dieu Pluton & le Dieu des ri-
chefTes enchaîné de lingots d'or ?
Mais quoi ; dire cela , c'eft porter le
feu dans la guefpiere, & s'ofFrir aux
aiguillons de ces mouches , on criera
auflî-tôt à l'Hérétique , & déjà j'entens
tout retentir de huées. Non, non que
la vérité les faffè tant defpiter qu'ils
voudront , & les fafTe bondir de rage
comme une baie pleine de vent, qu'ils
tempêtent tant qu'ils voudront, malgré
toute leur violence & leur fureur , elle
fe dira.
J'appelle Dieu à témoin de mes pa-
roles, & pour vengeur Eternel, Ci je dis
un parjure , que je fuis &c ai toujours été
de la Religion Catholique, & qui n'ai
jamais adhéré ni confenti aux inftrucr
tîons , ni aux Sea.es de Calvin , ni de
Luther , 8c toutes fois demeurant dans
ce cercle , je n'y veux être privé du fens
commun , &c y perdre la faculté de fa-
VGurtT les bonnes ôz mauvaifes chofes.
C'eft pourquoi je dis que faint Pierre
n'a jamais rien entrepris fur Céfar , qu'il
n'a jamais rien entrepris fur les Puidan-
ces temporelles, que Dieu l'a défendu,
& que par l'exemple de fa vie , il a
montré cela répugner à fa profefTion ,
que partant c'ell chofe que le Pape ne
peut faire , félon Dieu , & que s'il le
fait, c'efl par violente ufurpation.
Mais foient toutes ces raifons mifes
fous le pied , voyons encore ce que vous
pouvez efperer de TEfpagnol î
Ce Roi eft vieux, déjà radotant, ôc
déjà un pied dans le tombeau , duquel
tous les Etats branlent, ôc ne font qu'at-
tendre que cet horloge fonne pour fe-
couer le joug : fon Empire eft comme
un bufîet marqueté , compofé de pièces
rapportées , il eft compofé de conquêts
injuftes & de chofes ravies , il n'eft fondé
que fur la force, & qui par une autre
force au premier jour fe diffipera. Si
cela advient, comme cela arrivera , que
deviendra votre fecours l Vous vous
( 114)
trouverez , comme on dit , un pied
chauffé & Tautre nad, & entre deux fers
une goffre , & vous ne pourrez lors évi-
ter le jufte châtiment de votre foi vio-
iée, & par celui qui juftement le pourra.
Quoi donc î le Pupile & l'Infante d'EC-
pagne vous couvriront encore de cette
louche ? Vous avez afTez chèrement
éprouvé , ce que vaut le gouvernement
de la femme & du mineur, ôc croyez
qu'ils trouveront lors aiïez d'empêche-
mens chez eux, (ans étendre leurs plu-
mes fur les criblures d'autrui [r].
Mais donnons à toutes vos efpéran-
ces leur cours, ôc que ce Roi vive au-
tant qu'il faut pour conquérir la France,
donnons lui déjà la conquête fans con-
tredit. Q^ie jugez-vous qu'il fera alors
de vous l Penlez-vous pas qu'il ne con-
noiffe que votre défefpoir , & non votre
amour , vous aura rendu fiens ? Penfez-
vous que l'exemple de votre déloyauté
ne lui rende votre foi fuipedle? Et que
le crime de votre félonie ne lui rende
toujours fon odeur naturelle ? Sur quoi
pourra- 1 il affermir fa nouvelle con-
[ t ] Quand on vane le blecî , on Ce (en
d'une plume pour faire tomber les balles, ou
écorces de grain.
(115)
c^uête , & la durée de votre fubjeiflioni
finon (ur la force, fur les fers, fur les
manotres , fur des fpeâ:acles de gibers ,
& fur des gro(Tès garnifons ? Quand il
confiderera à quelles gens , &c à quel
peuple il aura à faire ? Ne doutez nul-
iemenc que cela ne fût , & que vous
n'y reçuiïîez des loyers dignes de votre
mérite.
Mais partons plus avant , & que toutes
ces confidérations foient mifes arriére;
donnons que vous foyez afTez puilTans
pour corrompre tous droits divins &
humains , & pour renverfêr la fucceffion
de France. Que deviendra lors cette
Monarchie? en combien, je vous prie
de ruiffeaux fe départiront les eaux de
ce grand fleuve , fi fon canal naturel eft
rompu ? L'Efpagnol y partagera une
Province , le Duc de Mayenne en re-
tiendra une autre, le Marquis de Pont,
& le Duc de Savoye chacun la fienne.
Combien encore d'autres Seigneurs y
lopineront! Combien de petites tyran-
nies y naîtront , combien de petites ré-
publiques s'y formeront , & combien de
villes s'y cantonneront î Et quand cette
face miférable d'Etat adviendra, penfez
ce que vous ferez alors , & ce que vous
( iiO
deviendrez , vous ferez toujours en guer-
res mortelles avec vos voifïns , & une
journée de voyage vous jettera hors des
frontières de votre pays : comme l'oifeau
confine dans la cage, ou le poilTon tiré
des grandes mers dans un petit ruifleau,
vous fentirez votre liberté oppreflee ,
& defirerez tous les jours n'avoir jamais
été.
Mais quand toutes lesraifbnsdu mon-
de feront mortes avec vous, faites du
moins que les chofes mêmes vous inf-
truifent , ne jugez de la chaleur du feu,
qu'en le touchant, ni de la clarté du
jour , qu'en ouvrant les yeux , voyez ce
que vous avez encore avancé depuis le
commencement de ces troubles , ôc ou
vos affaires font réduites. Votre ville efl
ruinée, vos Finances font épuifées, vos
forces rompues, vos partifans confternez
& tous vos moyen*; particuliers fi à Té-
irvoit , que déjà la famine vous preiïè.
L'injuftice de votre caufe parle tout haut:
Dieu combat contre vous , fa faveur
vous abandonne , fa vengeance vous
pourfuit , toutes chofes vous tournent
à rebours , & tous vos fuccès condam-
nent vos pourfuites.
Q.ue dites-vous de la bataille de Senr
(II?) ,
lis , ou dix hommes en ont bâta cent s
ik les cent en ont combattu mille ? Que
dites-vous de tant de rencontres petites
& grandes , ou vous avez toujours été
battus ? Que jugez-vous de cette charge
d'Arqués, ou quatre cens chevaux en
ont foûtenu quatre mille, que dis-je,
foûtenu , mais attaqué, couru, & mené
battant jufques dans le gros de leur ar-
mée , compefée de quarante mille hom-
mes , avec la perte de leurs meilleurs
Capitaines î
Qui fit donc cet exploit fi glorieux.,
.ce fut le Roi en perfonne , toujours le
premier à la charge , &c le dernier à la
retraite , &c comme les portes paniers
de Madame de Montpenfier crioienc
dans Paris fa perte & fa défaite, vous
le vîtes comme un fubit éclair , auflîtôt
paroître à vos portes , & qui vous en
apportoit des nouvelles : & en même-
temps le fentiftes à vos dépens forcer
tous vos Fauxbourgs , avec un tel éton-
nement de vos protedeurs , Se une telle
confternation publique , que Ton n'y
entendoit que pleurs par tout & gémif-
femens, fajis que jamais il parût dans
la ville un feul foldat des vôtres pour
la défendre.
C iis )
Ec C\ ce Prince n'eue aimé votre fa-
lut, beaucoup plus que vous ne faites
vous-même , & qu'il n'en eut craint le
Tac Se le pillage, vous étiez fans doute
à lui , & votre fecours y fût trop tard
venu.
Il me déplaît grandement que vous
foyez toujours badauts , & que les plai-
fanteries de Madame de Montpenfier ôc
toutes ces petites drogues de femmes >
qui à peine tromperoient deux fois un
enfant , vous entretiennent toujours en
votre oyfonerie accoutumée ; vos vies
ôc vos fortunes ne font plus foûtenues
que de coulis & de reftaurants , & des
menus artifices de Madame de Mont-
penfier : Elle vous entretient de petits
portraits d>c de petits libelles , tantôt on
crie une défaite , tantôt la mort aux rais
& aux fouris, tantôt la mort de quelque
Capitaine, & de cela on vous fait lar-
gefîe pour votre argent.
Et pendant que votre Lieutenant gé-
néral ferre étroitement le béguin , qu'il
vous met en main la fonette & le ho-
chet , qu'il vous parle d'une baveroUe, [u]
[u ] Morceau de toile & d'étoffe que l'on
met (ous le menton, à préfent bavette.
' ( 119 )
8c qu'il fait Tes befognes parmi vous ,
vous périlTez tous miférablement.
Mais dites-moi , je vous prie , qui a
dcferé cette qualité ambitieufe & magni-
fique au Duc de Mayenne , de Lieute-
nant-général de l'Etat ôc Couronne de
France ? Cela , Empereur , Roi , Monar-
que, font- ce pas, comme nous vivons,
tous fynonimes ? Ne font - ce pas tous
titres de fouveraine dignité ? Sont - ce
trente ou quarante Louchards & Oli-
viers , qui ont compofé en France ce
nouveau Magiftrat fouverain.
Les Bouchers de Paris du temps de
Char'es VL en voulurent faire autant
du Duc de Bourgogne , s'ils l'eudent
trouvé capable de fi grande folie. Qiielle
lifée que cette fouveraine dignité, qui ,
à qui que ce foit, ne pouvoit par les
trois Etats même de France , vivant le
Roi , être déférée , l'a pourtant été au
Duc de Mayenne, Se par un petit nom-
bre du bas populaire de Paris , avec le
mépris extrêrric des trois Erats, & fpé-
cialement de toute la Noblefïe , à la-
quelle comme au plus digne membre
de la Monarchie , ce fait touchoit davan-
tage. Au(u on ne voit aucun vrai Gen-
tilhomme le reconnoître pour tel , ni
( 110 )
fnatcher fous fes enfeignes , & fi quel-
qu'un l'a fait, inconcinenc mieux avifé,
il s'en eft retiré , &r à bien l'eftimer , il
n'eft rien davantage que Prévôt des
Marciiands & Echevin dans Paris , en-
core moins folemnellement créé que de
coutume.
Il eft le Tribun du peuple j & fa guer-
re & la vôtre eft la guerre du peuple,
contre les Etats Royal & Ariftocratique:
Car fans doute, & tout le monde y
voit clair , vos vrais defteins font de
vous affranchir en Démocratie , être
xçgis par Tribuns , & Magidrars popu-
laires , ufurper une puiftànce fur toutes
les autres villes de la France, extermi-
ner toute la Noblefte &z vous emparer
de tous leurs biens. Ne font-ce pas les
ordinaires difcours de vos féditieux prê-
cheurs, que toute la Noblefie eft Hé-
rétique , qu'elle eft ennemie de l'Etat
populaire, qu'elle s'oppofe à vos def-
feins, & qu'il la faut exterminer ? Ils
n'ont en la bouche que fang , que meur-
tres, que maffacres , ils ne parlent que
de tuer , que de meurtrir , que de brû-
ler , & que de pendre , & la férocité
de ces mots font les délices de leurs
langues.
Mais
Mais qui peut dire (ans trefTaillir le*
e"xtrêmes dcbordemens &c les violences
de ces loups publics , de de ces bourte-
feux enragez? Un impudent incefte, Pi-
genat & cinq ou fix autres leurs com-
pagnons , les inftrumens maudits de tant
de playes publiques , qui ne fe font con-
tentez d'avoir fufciré un Moine défefpéré
pour meurtrir & âfTadîner cruellement
notre Roi : mais encore après cela pu-
•bliquement contre le mort ils ont vomi
de leurs ordes [x'] poitrines & dégor-
gé toutes les plus vilaines ôc les plus
puantes injures , que le plus contume^
lieux [j] monftre d'Enfer fçauroit iti-
vsnter.
Quelle plus abominable impiété , ont-
il pu avoir, lorfqu'il vivoit, d'avoir dé-
fendu de prier Dieu pour lui , & con-
cinuent impudemment aux mêmes dé-
fenfes après fa mort. Quelle inftrudion
Chrétienne en la bouche de ces cruels
Scythes ?
Dieu par-tout nous recommande la
miféricorde , nous commande de prier
pour nos plus cruels ennemis, & nous
défend la vengeance. Ce font fcs pa-
[x] Sales, infedes, horribles,
[y] Inlolent.
Recueil 0% I?
rôles i 6c les droits chemins de notre
faluc ; & ces monftres fanguinaires bat-
tent publiquement le tambour, prêchent
la guerre , prêchent la vengeance , &
vous défendent de prier Dieu pour votre
Roi vivant & mort ; mais s'ils prêchoient
contre Dieu même , les croiriez-vous ?
Etes-vous Cl privez du fens commun &
de la connoilTance du bien , que vous
ne puifliez connoître que ce font parmi
vous efprits malins j & Anges de ténè-
bres qui vous féduifent ? Que ce font
efprits de guerre & de difcorde qui vous
engagent en des chemins de perdition î
Mais ils vous ont encore promis un au-
tre exploit de Moine , & de faire bien-
tôt anaffiner notre Roi. Ils ont ,difent-
sls, par voyedixou douze entrepreneurs
défefperez , & dont il ne pourra éviter
la main de quelqu'un , il vous difeni à
l'oreille, patience, & que bifntôt on
verra éclore ce fecret.
Quels Charlatans , & quels endor-
meurs de fouris , quelle efpérance de
meurtriers > Mais Dieu & l'amour de
Tes bons fujets & ferviteurs le garde-
ront , £>( par fa providence leurs mauvais
confeils feront diflipez.
Et toutefois quand une Ci déteflable
cntreprife fuccederoic , penferiez-vous
être mieux î & que pour un homme
qui s'oppofe à vos forfaits , Dieu n'en
fufcirâr cent ^ Les mêmes inrcrcrs ne
ralIieroienc-i!s pas toujours les mêmes
hommes à la pourfuite d'un même bien ,
d'un même établiflTement public Se d'une
même caufe î N'en doutez nullement,
& croyez que Ci votre châtiment en étoic
pour quelque temps différé , que h gra-
vité de la peine récompenferoit bien
après le retardement du fupplice.
C'eft pourquoi, Mefîîeurs , tous ces
partis défefperez vous montrent par-tout
des précipices , & de tous cotez que
vous tourniez , votre ruine efl: toujours
à deux pas de vous. Et toutefois fi vous
voulez tourner la tefte fur les chemins
. que vous fuyez, vous y trouverez aufïï-
tôt , avec votre repos aflTuré , tout le
bien & contentement que vous fçauriez
dé/irer. Vous aurez à faire à un Prince
votre Roi naturel , tout plein de bonté
& de douceur, qui vous tend les bras,
& qui vous recevra à fi juftes & équi-
tables conditions , qu'il ne vous pourra
relier aucune crainte que pour les cho-
fes palTées ; c'eft le feul parti qui vous
peut tous fauver, & vous dégager de
Fij
( 124 )
tant de follicitudes & d'ennuis où vous
êtes av>)ourd'hui plongez. Ceft aujour-
d'hui le feul parti François; car comme
ce Chef eft le lien qui ralTemble tous
les membres de la Monarchie , & qui en
conferve l'union : aulîî fans doute s'il
défaut à ce corps, il eft impofïible que
toutes les parties , comme les pièces d'un
naufrage , ne foient battues de la tem-
pefte , ôc déjettées en parts toutes con-
traires. Je fçais que ceux qui font ten-
dres des yeux , les moindres vents les
offenfent , &c que ceux qui ont les efprits
difpofez à la difcorde , les moindres
bledures aiguifent leur acrimonie , &
leur font oublier l'amour de la paix ;
mais les hommes fages ne laifTent jamais
tant gagner fur eux, qu'il ne fe trouve
toujours le jour quelque bonne heure ,
où la raifon , comme le Liège , ne re-
tinonte & ne regagne le delTus chez eux.
Il me femble qu'après avoir adez lon-
guement cherché un fonds, & ne l'avoir i
pu trouver , vous devez en mer plus
calme jetter votre ancre, & changer de
Pilote & de navigation, c'eft chofe aifée
à faire, &: beaucoup plus que je ne peux [
dire , il ne faut que le vouloir , & il fera
fait.
( iM )
Je fçais que ceux qui voudroîent voi>s
voir brûler jufqu'àla dernière flaméche,
vous oppofent toujours rempêchemeiic
de la Religion , & par ces craintes tant
redites , s'efForcent de vous fermer l'en-
trée de ce port ; mais quand vous vou-
drez faulTer cette barrière enchantée , Se
vous difpofer à voir ce qui eft par delà,
vous trouverez le Roi en toute cette
confidération fi raifonnable , & qni fe
difpofe en tant de moyens légitimes
pour cela , & à recevoir infîru£lion , que
vous & tous les autres bons Catholiques,
aurez occafion de vous en bien con-
tenter.
Il eft Prince de foi , Prince très- vé-
ritable , très homme de Disu , qui crâiî»?
Dieu , & jamais ne varia de fa parole ,
ni ne manqua de foi.
Et fi vous rejettez ces moyens de
paix , & ce fur abry , & que duriez en
votre opiniâtreté , je vois votre faluc
défefperé , Se votre perdition préfenre
inévitable, & toute afTurée , Se que où
la douceur ne vous aura pu ramener, la
force le fera avec un châtiment fi mé-
morable, que vous fervirez d'exemple
à toute la poftérité.
F iij
( 11^ )
MEMOIRE de ce qui s'e(l paffé dans
la retraite & délogement du Duc de
Parme hors de France.
L s eft vu par les récits précédens ,
comme dès- lors que le Duc de Parme
eue joinc l'armée du Duc de Mayenne
auprès de Meaux à la fin du mois d'Août
précédent. Le Roi ayant confideré qu en-
cores qu'il fut venu toujours publiant
çu'il donneroit bjtaille, fitot qu'il l'au-
roic pu approcher , néanmoins que
l'ayant relevé de la peine de faire tout
Iech<fmin,&l«iéc— vtnunudêVâiu
iiifques au village de Chelles , & lui
ayanc trois jours durant préfentéle corri-
bat fans l'y avoir pu attirer , au con-
traire qu'il faifoit gloire de s'en être pu
excufer , il prévit qu'il ne feroit pas
grand progrès en Ton voyage , & qu'il
lui adviendroit de cette armée, comme
de quelques autres qu'il avoit déjà con-
duites j qui avoient fait beaucoup de
bruit & peu d'effet , & jugea que ledit
Duc de l'arme feroit contraint de s'en
rerourner dans la fin de l'année fans
( 117)
grand contentement ni avantage de Ton
voyage.
S'étant fur cette opinion , prife néan-
moins fur de bonnes ëc pregnantes rai-
fons , principalement réfolu à la répara-
tion qu'il fit de Tes forces , & diftribu-
lion d'icelles en ces Provinces : comme
cette prédiction eft bien particulière-
ment décrite par les mémoires qui eii
furent dès -lors envoyés aux Gouver-
neurs des Provinces , en quoi S. M. ne
s'eft de rien mefconrée , linon qu'elle y
a été devancée de quelque temps , ayant
borné le terme du féjour du Duc de
Parme en ce pays jufqu'à la fin de ce
mois j mais lui, qui en chofe qui lui tou^
choit de plus près, a été plus exad Ôc
plus judicieux que nul autre ne pouvoit
ccre , ayanr reconnu par la pré(ence &
contenance de cette Noble(îe,qu'il voyoic
aiïemblce dans la plaine de Chelles »
lorfque la bataille lui fut offerte, qu'il
n'y auroit rien à gagner d'en venir au
combat avec eux , outre ce qu'il en avoit
entendu par ceux qui s'étoient pu fau-
ver de la bataille d'Ivry , que cent de
tels gendarmes ne marchandcnr point
pour enfoncer cinq cens lanciers Wal-
lons ou Italiens , & que l'on nen voyoic
F iv
pomt qui les eudènc attendus, qu^^ils ne
s'en fuflent repentis. Ayant auiîî expé-
rimenté aux deux Villes de Lagny &
Corbeil , qu'il avoit attaquées , que l'In-
faaterie Françoife étoit même à garder
places , toute autre chofe que celles qu'il
a pratiquées en d'autres fiéges , ayant
■vu à bien peu de gens prendre cette ré-
folution d'attendre cette puiflTante armée,
& toute fraîche en deux petites bico-
ques , cil il femble que cent hommes
n'en devroient pas attendre cent cin-
quante, & néanmoins les lui avoit fait
fi chèrement acheter.
A'mCi prévoyant qu'en ces deux exer-
cices d'armée de combattre en la cam-
pagne, ou en fiéges de places, il n'y
pouvoir rien avancer : au contraire que
c'étoit hazarder toute la réputation qu'il
penfè avoir acquife, il ne voulut pas
pour complaire à autrui fe perdre foi-
même, & réiolut prudemment des k
fin du mois d'Oélobre de le retirer ,
dont S. M. avertie , elle délibéra aufll-
tot qu'il étoit néceffaire qu'il fe trouvât
en perfonne fur cette retraite , y étant
( outre qu'elle eflima qu'il y alloit de fa
réputation , qui peut près d'elle , ce
qu'elle put jamais & fçauroit pouvoir
C 129 )
envers aucun aurre Prince ) perfuadé par
ïfois principales raifons. La première ,
qu'y écanr, i! étoit certain que toute la
NoblefTe la viendroit trouver de toutes
les Provinces voifines; ce qu'ell*^ n'eue
pas peut-être fait, au moins lî volon-
tiers , fous quelqu'autre. Et le Duc de
Parme fçachant cette troupe enfemble ,
ne Ce hazatderoit pas de rien entrepren-
dre, ce qu'il eut pu faire , fi elle n'y eut
point été. L'autre , qu'ayant cette No-
blelTe qui eft fi valeureufe, & déjà ac-
coutumée à combattre fous elle , & étant
conduite de fa main , qu'il faudroit de
néceiïité , chj que l'armée du Duc de
Parme marchât fort ferrée, & parcon-
féquerït fort incommodée, ou qu'il leur
en demeurâc toujours quelque proye r
Et la dernière qu'il contrai^noit le Duc
de Mayenne de venir avec (es meilleures
forces accompagner le Duc de Parme,
& par même moyen lailTèr quelques
places dégarnies, où fon armée pourtoir
cependant plus facilement entreprendre ,
& profiter en quelque chofe , ce que
es fufdiîs trois points eft fuccedé forr
heureu(emenc^
Le Duc de Parme ayant félourné plus
£un mois eiitiec au fiége de Coibetl»
(MO)
y féjoiirna encore trois femaînes après
la prile» combattu, comme il eft à pré-
fuiner , du defir qu'il eût eu d'arraquer
Meiun, & de la crainte de n'y acqué-
rir que de la honte, fentanc cette gar*-
n Ton Cl gaillarde, qu'au lieu de l'affa-
mer par la préfence de Ton armée , elle
ne vivoit quaiî plus qu'à fes dépens , ne
fe partant jour qu'elle n'en eut quelque
proye nouvelle , ce qui fut cauîê qu*à
la fin il s'en éloigna de cinq ou fix lieues
pour Ce tenir plus fûremenr.
S. M. en étant avertie, voyant bien
que c'cîoit pour s'en aller à bon efcient.
Ce rcfolut de partir d'Ecouy en Norman-
die le 4. Novembre dernier , avec ce
qu'elle avoir de Cavalerie Françoife »
qui n'étoit pas en grand nombre , &
quelques Arquebufîers à cheval , laif-
fant (on armée fous la charge du Ma-
réchal de Biron pour l'exploiter en ce
qu'il connoîtroit de plus propre, il laifla
aufîîen Ton armée , M. le Chancelier Se
trois de Tes fecrétaires d'Etat pour vaquer
aux affaires qui fe pourroienr préfenrer
pendant Ton voyage , qu'il vouloir tout
donner à travailler fes ennemis en leur
retraire.
Il Ce rendit après à Compiegne , 01)
( IM )
il ne réjonrna gueres , que toute la No-
hiefle de Picardie ne fe vint rendre à
lai, 6c fie incontinent un corps de huit
cens bons chevaux.
Il eut peu de jours après la nouvelle
comme la ville de Corbeil la nuit
veille de faine Martin avoit été reprife,
ce 'i:{u'elle eftima pouvoir faire deux
effets j on que le Duc de Parme reiour-
neroit pour la reprendre , auquel cas
elle étoit bien réfolue de l'aller trouver
pour le combattre , ayant foudainemenc
averti tous ceux qui pouvoient y venir j
ou s'il ne retournoit à Corbeil, qu'il fe
hâteroic de partir pour fon retour ; mais
il ne fit ni l'un ni l'autre ; car ùm re-
tourner en arriére , il ne marcha pas
aulïî en avant , Se fejourna quelque
temps aux environs de Château Thierry ,
ce qui fut caufe que S. M. y alla, & y
lailTa M. de la Noue avec bonne troupe
de Noblerte pour l'y attendre s'il le fut
venu afiîéger.
Quelques-uns des (îens ont voulu dire
pour l'excufer en ce long féjour inur le
qu'il fit en ces quartiers là , que c'étoit
pour fe faire plus chèrement acheter par
ceux de Paris I ou bien pour attendre il
le traité de paix que le fieur de Mayenncf
F V)
( m )
avoir par le fieur de Villeroy fait re-
mertre en avant n'en irriteroit point
quelques - uns de ce parti qui vindent
recourir à lui, &c le proclamer leur
chef: mais la vérité fut qu'il jugea bien,
qu'étant abandonné des Fiançois , ôc
n'ayant plus près de lui que le refte de
ceux qu'il avoit amenez , contre lefquels
tous élemens croient ici conjurez tant
ils s'y éroient mal comportez, qu'y fé-
journant davantage , il y pouvoit arri-
ver quelque grand malheur , & finidre
accident , & aufli que ne fe voulant fier
en ies ieules forces pour fon retour , il
attendoit celles que ledit fieur Duc de
Mayenne avoit mandées pour pouvoir
cheminer plus fûremenr.
Ces forces arrivées, le DucdeParmg
commença à cheminer, & S. M. à aller
auflî droit à lui , elle commença à le
joindre de près le 23. Novembre , &
l'ayant à l'inftant envoyé reconnoîrre >
elle en eut ce njême jour pour fa pre-
mière offrande une Compagnie de gens
de pied Efpagnols qui furent tous raillea
en pièces , fans qu'il s'en fauvât un feul,
& à la vue du G^m de Mayenne.
Le 26. le Duc die Parme délogeant
de f ifmes poui aller log,er à Poutavets^
©n pa(îe la rivière d'Aifiie, S. M. le fut
aiifll rencontrer partant de Fere en Tar-
tenois , accomp.ignée de huit cens che»
vaux,& autant d'arquebulîers à cheval ^
S: ayant commandé au Baron de Biron
de Ce mettre devant avec quinze che-
vaux pour prendre langue de l'ennemi :
S. M. étant partie en même temps avec
vingt-cinq chevaux , & tenant la main
droite joignant au bois , pour juger à
vue de la forme de cheminer de Ten-
r-emi , duquel il eut avis par le Baron
de Biron , qu'il étoit parti d'un village
fort proche nommé Baioges , ou S. M.
donna aufîttot pour apprendre encore
plus particulières nouvelles. Et jugeani
bien que cette pifte les pourroit mener
plus loin qu'il n'avoit propofé , il manda
à M. de la Noue de lui envoyer di:s
gens d'armes de chacune Compagnie,
& de faire repaître le refte de rarmce.
Il compofa de ces Gendarmes , & de fa
Compagnie de chevaux légers cinq pe-
tits efcadrons qui pouvoienr être de cin-
quante chevaux chacun. Et étant apper-
eus des ennemis , leurs carabin*; s'en
voulurent avancer , auxquels le Baron
de Biron fit une charge , ôc en tua huia
fia. dix Cm la jplace j il s'ea iît îani d'ais*
très , qu'à la fin l'armée des ennemis
qui étoit toute en bataille y voulut venir.
Lors Sa Majefté ayant fait ce qu'elle
avoir voulu , d'avoir fatigué toute cette
armée , & leur rompre le deffein de
leurs logis , elle commença Ca retraite ,
qui fe trouva plus longue qu'elle n'avoit
d'abord penfé. Toutes fois elle la fit (î
honorable , que les ennemis même l'ad-
mirèrent beaucoup , ayant avec Ci petite
troupe fait toujours fi bonne contenan-
ce 5 lai(rant toujours le Baron de Biron
qui y fit fèpt eu huit charges , avec
cette rcfolution accompagnée néanmoins
de tant de jugement , que jamais les
ennemis ne les oferent enfoncer.
Enfin S. M. s'étant retirée auvilîage
de Longueval , les ennemis vinrent don-
ner des coups de lances jufques dans
les portes ; mais les arquebufiers qui
croient fur les murailles leur firent une
falve , quafi à miré , de forte qu'ils en
tuèrent grand nombre, & les contrai-
gnirent de fe tenir plus loin. Ainfi S. M,
(e rerira , & prit Ion logis à Pontarfi ,
& l'ennemi fut contraint de camper
toute la nuit , fe doutant du devant ôc
du derrière , parce que ce même jour
M. de Neveis vint joindre le Koi avec
(ns }
cinq cens chevaux qu'il amenoîc de
Champagne , & les fieurs de Givry &
Parabelle, qui venoienc de Melun , ôc
amenoienc encore une bonne troupe »
qui fe rendirent tous auprès de S. M.
laquelle en cette longue retraite ne per-
dît que deux des fiens , & y en demeura
des ennemis plus de cinquante.
Le 29. S. M. étoit partie avec mille
bons chevaux en intention de faire une
bonne charge , & emporter toute leur
arrière garde , mais deux canons étant
demeurez embourbez comme ils che-
minoient , leur avant garde qui étoit
déjà avancée rebrouiïa, & demeura toute
leur armée ce jour-là ei> bataille au liea
où étoient les canons , & y campa toute
la nuit , de forte que ce jour- là on ne
put rien entreprendre fur eux.
Le 30. Novembre S. M. leur dit adieu
par un combat de cavalerie qui ne fut
pas moins honorable qu*avoit été fa re-
traite du 17. S. M. étant avertie que
l'ennemi partoit prenant le chemin de
Marie pour gagner Farbre de Guife, Se
fortir hors du Royaume, elle ordonna
à toute fa cavaleiie de le rendre à Crecy
avec les armes & fans bagages , & étant
le premier arrivé au rendez- vous 1 les
autres ayant été un peu parenTeux , ne
voulant perdre l'occafion de voir Ten-
nemi ledit jour qui devoit être celui de
leur pirtement , elle fit partir le Baron
de Biron , Se le fuivit de cent pas avec
40 Gentilshommes feulement. Depuis
y furvint M. de Longueville avec cin-
quante chevaux, & le relie de la Cor-
nette. S. M, joignit le premier le Baron
de Biron, ayant laifTé fatroupe un peu
derrière. Il parut au même temps au
coin d'un bois en deux troupes enviroa
cent lances , y ayant en chacune troupe
une Cornette de Carabins , foudain ils
partent pour charger les coureurs da
Baron de Biron , S. M. fit avancer ùt
froupe , & y étant le fieur de Gharmont
qui menoit environ vingt chevaux, arrive
le premier, le Baron de Biron leur fit
une Cl lourde charge qu'il leur fît tour-
ner tefle jufqiies à leurs gros qui étoir
de cent vingt lances que menoit Geor-
ges Bare qui faifoit la retraite , lefquels
tous enfemble revinrent à la charge Se
par ce que le cheval du Baron de Biron
avoir été bleffé d'un coup de lance 6c
d'un coup d'opce , il eût été en danger
de Ce perdre , fans que S. M. rallia ceux
<5iii s'ctoient féparez , ôc fie avancer le
( M7 )
tefte de fa troupe , laquelle râfCemhUc
fir une charge fi furieufe à toute cette
arriére garde , qu'elle plia , & Ce fauva
à tonte bride , laiffant leurs morts tous
armez fur la place , Se plufieurs cha-
riots ; mais fi le refte de Tarmée eût été
auiïî diligente que S. M. il en fut refté
bien davantage , toute l'arriére garde
eût été défaite.
Ainfi depuis ce jour la plupart de l'ar-
tnée ennemie fortit hors du Royaume,
comme fit le lendemain tout le refte ,
la réparation ne s'érant point encore
faite de ce qui doit demeurer près le
Duc de Mayenne ; mais il y a grande
apparence qu'il n'en pourra guères re-
tenir.
Far ce que deiïus la preuve eft h'isn
confirmée des raifons que S. M. a eu
d'entreprendre ce voyage , & des bons
fuccès d'icelui, ayant par fa préfence &
de fes forces empêché que le Duc de
Parme ait rien entrepris en Ton palTage ,
& en cette retraite fait fur lui plufieurs
défaites : l'ayant contraint de loger Cî
ferré , & faire de Ci grandes journées ,
qu'il a fallu par force , qu'il ait laiffé
une grande fiîe de ceux qui n'ont pas
pu matcher û légèrement , Se de leus
(ijS)
bagage qui eft demeuré à la merci des
payfans , qui leur ont fait mauvaife guer-
re , & en outre occupe en ce palfage les
meilleures forces du Due de Mayenne.
De forte que le Maréchal de Biron a
durant icelui pris cinq ou fix villes &
une vintaine de forts &c cliâteaux , où
les ennemis tenoienr garnifon.
Ainfi le Duc de Parme eft forti hors
du Royaume fans grande occafion , non
pas de s'en louer , mais quafi de s'excu-
fer de fon voyage , ayant laiffé ceux
en Faveur defquels il étoit venu ,' même
la ville de Paris, de la délivrance de
laquelle il Ce donnoit l'honneur, en pa-
reille & plus grande néceffité qu'il ne
î'à trouvée, n ayant à tout ce parti pro-
fité d'aucune chofe , Se auffi peu à la
réputation du Roi fon Maître , remettant
cette grande armée toute ruinée fans
aucun effet, & moins encore à la fienne
particulière qui en fouffiira grande di-
minution. Ce qui ne peut être référé
qu'a la gloire de Dieu , qui continue de
montrer que les puiffances humaines
lont toujours trop foibles pour entre-
prendre contre ce qui eft fous fa pro-
teétion.
Depuis la fortie du Duc de Parme Se
. r r ^ '59)
de les forces hors du Royaume , S. M.
eft allée faire Ton entrée en la ville de
(àint Quentin , ou elle a été reçue avec
une allégrefle extrême des habitans d'icel-
le , qui ont même à cette occafion fait
une fort honorable dépenfe.
Sa Majefté y eut la nouvelle le dix
de ce mois comme le même jour la ville
de Corbie avoir été remife en Ton obéif-
fance par une entreprife que les fieurs
de Humiéres , de la Boifllére fon beau-
frere & de Parabelle , y ont fort heu-
reufement exécutée à la pointe du jour
avec un pétard , & une efcalade , ayant
eu grand combat par ceux de la garni-
fon qui y étoienc en grand nombre, lef-
quêis y ont tous été tuez , même le lîcur
de Bellefourrier qui en éroit Gouver-
neur pour la Ligue, bc fans que lefdits
(leurs y ayent perdu autre chofe , que
deux hommes de leurs troupes. Ayant
trouvé dans cette ville deux canons &
deux coulevrines , & plufieurs autres
pièces montées fur roues , & une grande
quantité de munitions de guerre & de
vivres, comme étant une des plus for-
tes places de la Picardie : laquelle fer-
vira beaucoup à recouvrer , ou à faire
( 140 )
téduîre les autres qui font détenues par
ceux de la Ligue.
LETTRE d'un François pour la pré-
fiance du Roi de France contre le Roi
d'EJpagne. En ISP4-
MOnfieur, j'ai lu ce difcours Ita-
lien , que m'efcrivez venir de
Rome , & courir maintenant par Paris ,
pour la préféance du Roi d'Efpagne con-
tre le Roi. Quiconque en eft Tautheur,
il femble fort retenir du terroir qu'il
veut défendre : autrement il n'eut tant
exalté Arhanarich , lequel exerça (î crueT-
le perfécution contre les Chrétiens , té-
moignées par Ilîdore Evêque de Sevilîe,
& par Roderich Archevêque de Tolède :
ôc fît tellement enraciner rArrianifme
par tout le pays qui ctoit de (on obéif-
lance, que le tronc en demeure encore
en plulieurs endroits , même en ceux
d'où nos Rois ne l'ont arraché. Aufîî
peu euft il mis en jeu Alarich pour le
fac de Rome, non gueres moins cruel
que celui fait du temps de nos pères ,
par ceux qui lui donnent pour fuccefTeurs
( 141 )
■SiT pour avoir planté Ton héré/îe Arrien-
ne en Italie , où elle a été maintenue
par Aiflulphe, & autres Rois Gots , tant
& fi long temps , qu'elle n'en fut extir-
pée par les François. Je me rapporte à
vous , Cl quand nous étions enfemble à
Home, ou à Trente , l'on tenoit Ton axio-
me pour Catholique , que les Papes ne
regardent qu'à leur propre & particu-
lier intérêt , Se que la donation faite
par les Rois de France au faint fiége
Apoftolique , des droits, terres Se Sei-
gneuries fpécifiée en la confirmation de
Lois Débonnaire , récitée par pluûeurs
-Hiftoriens affidez , même par aucuns
Italiens , fut pour certains Papes feule-
ment , Se pour leur particulier. Mais
foit ceft Efcri vain Catholique & Romain :
l'ancienne fplendeur de nos Rois , qui
ibnt entre les autres , dit le Balde , com-
me l'étoile du jour au milieu d'une nuée
venant du Midi, ne peut eftre obfcurcie
par tels brouillards. Car de tout temps
-& ancienneté ils ont eu telle préémi-
nence par tout le monde , que parlant
fîmplement du Roi , l'on a entendu le
noftre, ainli que Suidas ancien autheur
Grec à pieça efcrit, & Boniface de Vira-
linis Auditeur de la Rote , témoigne cela
( H^ )
avoir encore efté commun & ordinaire
à Rome de Ton temps. Et de fait Hinc-
niar , qui a tranfcrit il y a huit cens ans ,
la vie de faint Remy d'un autheur du
(îécle, dit que certaine couronne d'or
vouée à faint Pierre par le Roi Clovis,
y ayant efté envoyée, fut appellée par
le Pape Hormifda , comme par excellen-
ce, Regniim. Je laifTerai à part ce que
Procopius fecretaire de Bellidaire remar-
que , qu'autres Roys que les nôtres »
ny même celui de Perfe, ne pouvoient
faire bartre monnoye d'or marquée de
leurs effigies : & que celle des Rois
de France avoir cours par-tout l'Em-
pire Romain. Ce qui fe peut reco-
gnoiflre par les conftitutions mêmes des
Empereurs Léo & Majorian. Mais je
ne puis obmettre ce que tant d'autres
eftrangers ont remarqué, que non fans
très - juft:e caufe ce Grand Pape faint
Grégoire a jugé & efcrit , que le Roi
de France furpaiïoit d'autant tous les
Rois des autres nations, que la dignité
Royale excelle par defTus les autres hom-
mes. Et fon fucceflèur Etienne III. de
ce nom, que la brave nation Françoife
reluit par deflus toutes autres : comme
audi le Dalde did , que les bannières de
( 143 )
France marchent les premières , fur lef-
quelles autre Roi ne peut prétendre avan-
tage d'honneur : &c que les Rois de
France portent la couronne de liberté
& de gloire par delTus tous autres. Ce
que nous repréfentent encore les anciens
tableaux , & tous les Rois Chrétiens font
peincfts enfemble , qui fe voyent par
l'Italie, Allemagne, Angleterre, Efpa-
gne , & autres lieux. Et n'eft mémoire
qu'auparavant le défbrdre de ces der-
niers jours , & la conFufion que l'avarice
& l'ambition ont mifes entre les chofès
plusfacrées, cefte ptéféance de nos Rois
aye efté révoquée en doute, & nel'eft
encore de préfent par les Princes & Po-
tentats , qui ne font trann30ftés de paC-
fîon trop particulière: lelquels leur ont
toujours déféré le premier honneur fans
contredit, jufquesà avoir efté feuls ho-
norez par les Empereurs anciens de
Conftantinople, du tiltred'Augufte,qui
leur eft demeuré , voire &" celui même
d'Empereurs, ainfi que témoignent les
Hiftoriens , & qu'il fe peut voir par les
Chartes de Dagobert , Lois le Gros ,
Lois le Jeune & autres. Au/îî par les
Provinciaux de toutes les Eglifes Cathé-
drales de la Chreftienié ci- devant im-
( 144 )
f/time^ à Rome, le Roi de France ell
mis le premier des autres Rois , eftant
fuivi par le Roi d'Angleterre, puis par
celui d'Efpagne : & n'y a que l'Empe-
leur de Rome , & celui de Conftanti-
nople , le nom duquel monftre adez l'an-
cienneté de ce rang , qui le précédent
<n cefl ordre.
Imperatores Chriflîanorutn.
Imperator Romanorum.
Imperator Conftantinopolitanus.
Reges Chriftianorum-
Rex Francorum,
Rex Anglia^.
Rex Cafteila: & Legionis , &c.
Ce quAlberic de Rofaté , Alvarof,
& autres Docteurs eftrangers, & non
François , témoignent avoir auffi lu à
Rome , au Livre ancien intitulé , Liber
Romande Ecdejîd , & eftre confirmé par
la martinienne & fepeut encore en voir
celui intitulé par eux , regijlrum Romana
curidt, qui porte ces mois ^ fequitur de
regibus Chriftianoriim , & funt quidam
Coronandi^ & quidam non. IIU qui CO'
r.onandi funt y debent inungi ^ & illi ha-
bent priyilegium, FideliceL , Rex Fran^
corum
. . ( Uî )
^ecrum Chrijlianijfimus coronatiir & un-i
gitur, Rex Anglite, coronatur & unghur,
Rex CafldU non. Rex Legionis ^ &c.
Lequel ordre auflî fe. trouve es an-
ciens Conciles , & fut fuivi fans contre-
dit de notre fiécle au Sinode tenu h
Rome fous les Papes Jules II. & Léon X.
& depuis par - tout Je Confiftoire des
Cardinaux. Comme auflî les Anglois nos
anciens ennemis , qui quicteroient les
cinquante mille écus, dont parle ce dil^
coureur , pour un rouge Maravedis , l'ont
toujours recogneu ; ainfi que témoigne
frère Matthieu , Religieux du Monaftere
faine Alban de Londres , fous Henry Ilf.
de ce nom, Roi d'Angleterre , difant ,
Rex Francorum y Regum cenfetur di^
gnijjimus. Encore aujourd'hui es tilrres
de leurs prétentions ils poftpofènt le nom
de leur propre pays à celui de la France.
Et eft tout notoire qu*en Tan rj^j 5- au
Chapitre tenu la veille de la faint Geor-
ge par les Chevaliers de l'ordre de la
Jarretière , fut arrefté , que le Roi de
France retiendroit fa place au cofté droit
du cheF de l'ordre , comme le plus ap-
parent lieu : & le Roi d'Efpagne , en-
core qu'il eût efpoufé Marie leur Roy ne,
demoureroic à gauche. Ce qui depuis 3
Recueil O, Q
( 14^ )
eflé confirmé par divers ades , (ans avoîf
eu égard à fa prétention : de laquelle
il fut auffi débouté par tout le Sénat de
Venize l'an 1558. & n'a gueres , lors
même que la Ligue contre le Turc fut
faite par ladite Seigneurie avec fa fain-
teté ik lui. Aulli en la difficulté qui fe
préfenta à Calais , en Septembre Tan
IS21. entre le Roi de France, ou fes
Ambaffadeur?, & Charles dernier de ce
nom , lors éleu Empereur , la préféance
de noftre Roi contre ledit Charles com-
me Roi d'Efpagne , ne fut révoquée en
doute. Mais bien Monfieur le Chance-
lier du Prat maintint que le Roi de
France ne devoir laiflTer de le précéder ,
encore qu'il fut éleu Empereur. Et ne
fe trouvera aucun cérémonial , qui pot te
autre préféance d'Efpagne : finon qu'en-
tre les quatre nations, l'Elpagnole eft
la dernière comme étant nouvellement
faite Chreflienne. Et de fait l'an
M. CCCC. LXXX. Ferdinand V. de ce
nom > prit le ùltre non de Roi d'Efpa-
gne Catholique fimplement , mais de
Roi Catholique d'Efpagne , pour être
dillinâ: feulement des autres Rois d'Ef-
pagne Arrians , ou Sarrazins. Lequel
ùltre lui fut confirme par le Pape Jules II.
( 147)
en Tan i p i. ainfi que difênt les efcri-
vains de fa nation. Mais le tilrre &: qua-
lité deChriftianiiïîme a elle d -: tout temps
«pproptic à nos Rois , voire des & de-
puis Clovis jufques à préfent : comme
iè voie par le teflament de faint Rémi ,
par les Conciles d'Orléans, Mayance,
^ix , ôc autres ; & par les Décretales
d'Eftienne II. Paul I. Eftienne III.
Adrian I. Nicolas I. Jean VIII. Inno-
cent ôc Honoré III. ou ils font aind
appeliez non- feulement pour eftre oinds
de l'huile célefte , mais aufîî pour avoir
e(\é &: eflre l'unique azile & refuge des
Papes affligez, ôc le mur inexpugnable
de la Chreftienté , comme les appelle
Honoré VIII. ou , comme dit un autre
Pape, la trouiïe & k Carquois , d'où
Dieu déployé fes traits , pour Ce fouf-
mettre , ôc conferver en fon obéidjnce
les autres nations. De quoi leur relie
encore entre plufieurs autres remarques
d'honneur , cefte-ci , que tous les chefs
d'ordres anciens des Mc-nafteres , fonc
en leur Royaume , & fous leur protec-
tion. Auflî ne fe peut nier fans impu-
dence manifefte, que par leur moyen
le Chriftianifme a efté ou planté , ou
remis , ou maintenu tant en Italie, Ai-
G ij
( H8 )
îemagne , Angleterre , EcoflTe & Efpagna
qu'en la plupart du Levant : ou encore
aujourd'hui tous Chreftiens font appel-
iez François , & compris fous ce nom
comme Catholique. Les Efpagnols mê-
rnes en leur particulier recognoiffent par
îeurs efcrits, que la Foi Chreftienne
fut replantée jufqu'à Cordoue par Char-
lemagne, qui fit anfembler un Sinode à
compoftelle , où fut ordonné que l'Eglife
de faint Jacques feroit la première de
toutes les autres de Gallice & d'Efpagne,
qui ufent encore à préfent du Pfautier
Gallican. Alcuin en une EpiRre dit que
cefte conquefte de Chatlemagne en EC-
pagne , fut de trois cens mille d'éten-
due du long de la Marine. Et Eynard
fon Chancelier , ou fecretaire , témoi-
gne qu'Alphcnfe lors Roi de Gallice
& de las Afturias fe tenoit tant oblige
& redevable à ce Prince , qu'il ne vou-
loir eftre appelle autrement en fon en-
droit , quçproprius/uusj^ comme il parla
en Latin du temps. Encore aujourd'hui
fe trouvent quelques-unes des requêtes
préfentces par le peu de Chrétiens , qui
reftoit lors en Efpagne, tant à ce Roi,
qu'à Lois Débonnaire fon fils , pour
avoir recours & fecours d'eux en l^uc
( '49 )
jaffTi^lion. Et les provifionsquien furent
fur ce ottroyées , font telles que leur
poftérité ne les peut nier ou difllmuler
fans note d'une très- grande ingratitude.
Que G tant de changemens & de Prin-
ces, &■ de Reiijiions, excufenc en ceft
endroit leur ignorance du pafTé : au
moins doivent ils apprendre, pourquoi
les Evêques non-feulsment de l'AlTeu-
d'Urgel , de Vich-d'AlTonne , & d'Elna ,
mais auiîî ceux de Gironne, & de Bar-
celonne, ont efté C\ long-temps fulTra'
gans df" l'Archevêque de Narbonne, &
Tont recogneu comme leur Métropoli-
tain : & quant, & comment, ils en ont
efté diftraits. Pourquoi aulîî les Arra-
gonnois en toutes leurs chartes & inf-
trumens dattoyent le temps par les an-
nées des Rois de France , jufqu'au CoD"
elle tenu en la ville d'Arragonne , fous
l'Archevêque Berangier , l'an de Notre-
Seigneur i i Se. aind que leurs Hiftoriens
même témoignent : éc pourquoi encore
ils retiennent en Arragon ce beau mot
de franchife par les privilèges des Rois
do France , qui leur ont confervé ce peu
de liberté qui leur refte , au grand cre-
vé cœur des Caftillans.
Mais ce que j'ai dit , & en général &
G iij
( r5o )
en particulier , fe pourroit plus ample^
ment vérifier par les Conciles & Dé-
crctales des Papes, & par les hiflorio-
graphes de chacun temps , auiïi par les
bàtimens à ia Françoile , Ik fondation
des Eglilcs &c Monafteres de toute la
Chrétienté : fi ce n'étoit peine perdue
de s'^heurter plus avant contre celui ,
qui veut perfuader que le foleil prend
la clarté de la lune , ou de quelque
Comere errante. Comme aufîi de réfu-
ter cefle plâifante imagination , que puiG
qu'en quelques chartes cofmographiques
TETpagne eft peinte comme un des chefs
de la terre, par confcquent le Roi d'Ef-
pagns doit eftre le premier du monde j
anÙl peu d'apparence v ait , fous om-
bre de fuppofer que. Athanarich étoit
fî's de Roi , & Roi d'Efpagne Chrétien ,
auparavant que Pharamoni fut Roi de
France, que noftre Roi doit ertre privé
de fon ancienne prérogative d'honneur.
Comme Ci Afcaric , Gaife , Mellobau-
des , Marcomir , Sunno , & autres men-
tionnez par les anciens Efcrivains, n'é-
toyent Rois des François , ou qu'Atha-
narich n'eût eflé le premier des Rois
Gots, lefquels ont encore eflé éleâiifs
long temps après. Tant s'en faut qu'il
( MI )
toi né de Roi , comme ce difcoureut
fuppofe à fa fantaifie , contre ce que en
tefcrivenc Ifidor, Roderich , & aurres
Chroniqueurs Efpagnols , qui monftrenc
aufîî au doigt & à l'œuil , que les guerres
conrre les Maures ont toujours eftc def-
fenfives feulement de la part des Chré-
tiens d'Efpagne , jufqu'à Ferdinand V.
depuis lequel temps fi Tes fuccefleurs
ont fecouru le Pape , comme vaiTaux ,
à caufe du Royaume de Naples &z de
Cicile, en laquelle qualité , ils (onc tenus
porter l'eftendart devant lui : ou même
àcauie-de celui d'Efpagne, que le Pape
Grégoire VII. maintenoit eftre tenu eri
fîef du faint Siège , ainfi qu'il fe trouve
par (on rcgiftre , ou bien s'ils ont aidés
les Vénitiens , & autres Potentats d'Ita-
lie , je m'en rapporte au fac de l'an i j 17.
qui arrefta le fon des cloches d'Efpagne :
& à la guerre des années 1556. 5c 57,
fans parler autrement pour cefte heure
de fienne, Plaifance, Petilia , Foyan ,
Gennes , Luques , Manroue , Parme ,
Ferrare, Urbin , & du Marquifat de
Final. Je m'en rapporterai au(ïï à i'en-
treprife fur Corfou , & aux comptes à
rendre de toute la dépenfe avancée par
ladite Seigneurie de Venife , laquelle
G iv
^ (MO ,
enfin trouva erre plus expédient de faîne
paix avec le Turc par l'intervention de
l'AmbaOTadeur que nos Rois tiennent
devers lui pour le bien ôc profit com-
mun de toute la Chrétienté.
Et ne faut point que pour furhaulTèt
la maifon du Roi d'Efpagne on lafafle
monter fur la tefte , ou fur le ventre de
noftre Roi , les prédéceffeurs duquel
regnoient en France long-temps aupa-
ravant que le Chaftel d'Habfpurg fut
bafti : les fondemens en ayant efté pre-
mi-remeni jettez par Wernerd , qui étoit
Evêque deStrafbourg l'an 1017. comme
fe vérifie clairement par la fondation
de l'Abbaye de Mur, non loin d'Illec,
<^ui le porte par exprès. Et de fait, Otto,
Àdelbert , & Vuerned fils de Radeboth,
frère dudit Evêque » furent les premiers
qui prirent la qualité de Comtes d'Habf-
purg : ainfi qu'il efl: déduit par la généa-
log e de cefie maifon , trouvée entre
les chartes dudit Monaflere , fe conti-
nuant de père en fils , jufques à Rodol-
phe d'Habfpurg : lequel ayant été maiftre
d'Hoiiel , quoique foit ferviteur d'Ot-
tocar de Bohême , qu'il tua depuis de
fa propre main : & s'eflant mis à la fuite
de l'Archevêque de Mayenne > s'entre-
( 153 )
i^nc II avant en Ces bonnes grâces au
voyage qu'il fit à Rome, qu'a fon retour
il fut fait par lui Empereur , outre ôc
contre la volonté de tous les autres Prin-
ces : combien qu'il fut peu de moyens,
ainfi que témoignent Albertus Argen-
tinenfis , Joannes Vitoduranus , Ricor-
dano Malefpini, Giouan Villani , Ra-
phaël Volaterran, Albert Crantz, Jean
Abbé de Tritehem , Antonin Archevê-
que de Florence , & même le Pape
Pie II. & autres. Si que de depuis ledit
Archevêque fe vanta par rifée , qu'il
portoit des Empereurs en fon cornet ,
qu'il avoir pendu à fon col allant par
les champs , à la façon des Seigneurs
& Gentihhommes du pays. Et ne Ce peut
dénier , que tous les Royaumes , Da-
chezj Marquifars, Comtez , Terres &
Seigneuries , qui font de préfent en
cefte Maifott, fans rien excepter que le
Chaftel d'Habfpurg , n'y fuient entrées
depuis l'avancement & le trop bon mé-
nage dudit Rudolphe, par acquêts ou
conquets de la lance de chair, comme
dit d'eux certain Poète Allemand : &
principalement par Mariages avec quel-
ques filles de Seigneurs de France, donc
elle rfiiieni encore de préfent entre autre»
G V
tiltres celui du Royaume dé Hiérufa-'
lem, conquis par les François , & plu-
fîeurs autres Duchez & Comtez qu'il
n*eft befoin de vous particularifer quant
à préfenc. Tant y a que ce n'a point efté
fans caufe qu'on a dit depuis par farme
de Proverbe ; que la Maifon d'Autriche
étoit la Maifon d'autrui Riche. Mais
quoi qu*il en foit la très -Chrétienne»
très- facrée , très - noble , & très-excel-
lente Couronne de France nefl point »
grâces à Dieu , &c ne fut onques de ce
chef, & n'y peut le Roi d'Efpagne jufte-
ment précendre droit tant petit (bit, par
toutes les ouvertures de ce difcoureur :
Duquel toutes fois l'intention principale
ne femble avoir eu autre but , que
ceftui là : & néanmoins avec fi peu d'ap-
parence , que quand tout ce qu'il fup-
pofe la plupart contre vérité, lui feroic
accordé pour autre qu'il 4^'efl:, la feule
loi du Royaume , que nous appelions
par tradition de nos pères , Salique, en-
gravée au cœur des bons François , feroic
fuffifante pour enarrefter&la maxime,
& la conféquence.
Et pour ce qu*un trait 4e voftre maîa
à l'endroit où ce difcoureur femble vou-
loir révoquer en doute cefte loi &
îcoultume, m*a fait penfer que vows ,
qui n'êtes naturel François , defirez eftre
éclairci de ce poindt ; je vous ai bien
voulu donner queltjues heures de cefte
matinée pour vous extraire aucuns lieux ,
qui me font venus en mémoire , d'Ef-
crivains hors de tout foupçon pour ce
regard, & pour la plupart mal aflfec-
tionnez à celle Couronne , qui monf-
trent néanmoins clairement , que cefte
loi , quelque nom qu'on lui veuille don-
ner, efl: née avec le P.oyaume , qui a
grâces à Dieu fubfîfté par le moyen
d'icelle l'efpace de douze cens ans ÔC
plus : & furpalTé non feulement en préé-
niinence & grandeur , mais atiflî en âge
& durée , toutes les autres Monarchies
& Royautez depuis le commencemenc
du monde. Suivant laquelle loi , a eflé
de tout temps gardé & tenu pour très-
certain &: inviolable, que tant & fi lon-
guement qu'il fe trouve des Princes ifTus
du fang & ligne de nos Rois , ce Royau-
me leur eft entièrement afFedé ôc déféré
ip/b jure j comme dient les légiftes : fans
que les filles , & les defcendus d'elles
y puilTent aucunement fucceder , ny
tranfporter par ce moyen la Couronne
en Princes eftrangers.
G vj
(1S6)
Da livte du Sacre & couronnêmeht
des Rois de France, extraid de l'ancier»
Pontificat de TEglife Métropolitaine de
Rheims.
Dum Rex ad foUum vénerie ^ Ar»
chiepifcopus ipfum coUocet in fede _,. 6f
dicat Archiepifcopui : Sta j, & rétine k
modo ftatum j quem hue ufque paternel
fuccefjîvne tenuifli ^ hereditario jure
tibi delegatum per aucloritatem Dei
omnipotemïs.
Agatlîias ou Livre premier de l'Hiilr
toire qu ,1 a écrite niil ans font , & qui
cft en la Bibliothèque Vaticane à Rome :
OuTû) JJLIV OVV olçpU^UlaptÇCL /3<0VVT€« (T^MVTÉ CtO-
Tuv i, Tuv ZT-fOo-oî-xav y-CAT^crt -nraTc/^ÉJ ex wx']ifaf-
vtitê^Oi aM' sxctAeTyg OLVTQV iU rh iyi/xon'ui/ 0
vrxT^iQs véjxoi.
Theophanes en fa Chronique, qui eft
audî en la Vaticane.
'ro¥ '^iya xetTèt -j^os ct^^tTi'.
Gregorius Cedrenus en fon abbregé
de l'Hiftoire Univerfeile»
f 157)
ytyot upxu'^
Saint Grégoire le Grand , Pape , en
une fienne Homélie fur l'Evangile des
Rois.
In Francorum terra Reges ex génère
prodeunt,
Anaftalîus Bibliothécaire du Pape
Adrian II. & Landulfus Sagax en ïh.\(-
toire par eux efcrire.
Genti Francorum maris eft. dominum^
îdefi regem fecundum genus fuumprinr
£ijpari,
Nodgerus Erefque du Liège erila vie
de S. Landoalde efcrite par lui Tan 980,
Francorum regnum à Jui prïncipia
femper infatîgabile _, &c. Maximum au-
tem accepit incrementum j & firmumfub
€0 fancïa Dei Ecclefîa ftatum j chm Clo-
tarius Rex jufla fuccejfione Clodoueo
quartus monarchiam Jingulariter triian
Tcgebat regnorum. Ec toutesfois Chil-
deberc avoit lailTé deux filles.
( 155)
Flodoardus en THifloire de TEglife
' Métropolitaine de Rheims , en la vie
de l'Archevêque Foulques, fous le cha-
pitre des lettres qu'il efcrivit de Ton temps
à quelques Princes.
Anncclit etiam quod in omnibus penè
gentibus nommfuent , gentem Franco^
rum ^ reges ex Juccejjione habcre con-
fueui(Je ^ proferens Juper hoc tejiimo-
nium beau Gregorii Papa ^ fupplïcatque
nefceleratis hic Rex acquiefcat conjîliis :
fed mifcreatur gencis hujus ^ & regio
generi fubveniat decedenii j fatagens ut
in diebus fuis dignitas /ucce(Jionis Ju£
roboremr j & hi qui ex aliéna génère
reges exijlere cupiebant ^ non prévale-
rent contra eos quibus ex génère honor
Regius debebatur.
Innocentius III. en une epiftre de-
cretale efcrite aux Prélats de France.
Nec illud humillimum omittimus _,
quod Theodojrus flatuit Imperator j &
Karolus innovavit ^ de cujus génère Rex
ipfe nofcitur dtfcendiQe, Il entend Phi-
Jippes Augufte Dieu donné.
Charle IV. de ce nom Empereur , fils
de Jehan Roi de Bohême, en fa vie:
Èodem anno obiit Carolus Franco^
rum Rex ^ relicla uxore pr^gnance _, qu4
peperu filiam. Et ciim de confuetudme
^^gf^^ j fi^i<^ nonfuccedant , proueclus ejl
PhUippusfiLiusJoceri mei in regcm Fran-
cis y quia propinquior erat hères in Unex
mafculina.
Albertus Argentinenfîs en fa Chro^
nique.
Ciim Francïa a nullo haberi dicatur
in feitdum , quamvis e contra nullusper
femininam lincam fuccejjljje dicatur.
MeCHre Jean Froiffari partifanr à' An-
glererre, ou 4. chap. du 1. volume de
Tes Hiftoires.
Le Roy Philippes nommé le Bel de
France Roy , eut trois fils , &c. & furent
tous trois Rois de France , après la more
de Philippes leur père par droide fuc-
cefllon légitime l'un après l'autre, fans
avoir aucun hoir mafle de leur corps en-
gendré par voye de mariage : (\ qu'après
la morr du dernier Roy, Charles, les
douze Pers & les Barons de France ne
donnèrent point le Royaume à leur (œur^
qui efloit Roine d'Angleterre i Pourcanc
qu'ils vouloient dire & maintenir , &
encores veulent , que le Royaume de
France eft bien fi noble , qu'il ne doit
mie aller à femelle , ne par conféquenn
au Roy d'Angleterre fon aifné fils» Car
•ïnfi comme ils veulent dire, le fils de
la femelle ne peut avoir droiâ: ne fuc-
ceiïion de par fa mère venant , là où fa
fiiere n'a point de droid. Si que par
ces raifons les douze Pers & les Barons
de France donnèrent de leur commun
accord le Royaume de France , à Phi-
Jippes neveu jadis au beau Roy Philippe
de France deflTufdir.
Lequel jugement de Pers & Barons
eft même recogneu par Edouard III. de
ce nom Roy d'Angleterre , efcrivant au
Pape & au Collège des Cardinaux pour
le droit par lui prétendu. Ce qu'auflî
efcrit certain Hiftorien du temps , en ce
Latin , Obeunte inhumatoque Carolo
Pulchro orra e(i qiujiio non modica ^
qiàs in regno de ipfîus progenie proxt-
mior exijleret ad fuccedendum. ^ffif-
mantibus quibufdam Anglicis Eduardiim ,
eo quod proxïmior ^ fcïlictt nepos régis.
Tandem opinionibus & altercationibus
fopitis y per principes & regni fapientes
tonclujum fuit & unanimiier détermina-
tum quod regnum eo quod de confuC'
tudine & flatutis ejufdem , in génies
femineum defcendere non valebat y com-
iii de Valefio Philippo vertinerc de-
iebata
(^i6i )
Hfteuan de Caribay y Camalloa Es-
pagnol parlant de cela même ou i^,
chap. du 2(5. Livre de Ton Hifloire.
Porque Philippe Conde de Valoes
defcendia de la Corona real por linea
mafculina, fue coronado por Rey di
Francia por virtud de la ley falica. Al
Rey Eduardo por defcender de linea
de muger excliiyeron de la fuccefllon
Real , &c. Aunque fodas razones d'E-
duardo euaden y excluyen los Francefes
con ley falica, que en eftos dias yna
tomando grande vigor y fuerça para los
figlos futures.
Baldus fur la loi i. du tilrre dey^/z^-
to'ihus es Digejles & Pet rus Jacobus
fur le tiltre de caujis ex quitus Vafall,
&c. ou livre des fiefs.
FUia Régis Francorum non fuccedit
in regno ex rationabili confuetudine
trancorum.
Ce même Douleur Baldus fur le riltre
defiudo MarchiA j ou livre dfs fiefs.
Si moreretur tota domus regia j &
extaret unus de fanguine antiqito ^ puta
de domo Borbonia ^ & non effet alius
proximior j efto quod effet millefîmo
praduj tamen jure Janguinis & perpétué
( i6i •}
confiietudînîs fuccederet in regno Frari'
corum. Ce qui a auflî efté fuivi par
Marcinus laudenfis ^ Jacobinus de fancîo
Georgio j Guilielmus de Monte- ferrato
Catelarij & plulîeurs autres. Mais cela
fuffira pour ce coups s'il vous plaît ,
refervant à vous en dire davantage quand
nous aurons ce bien de nous revoir de
plus près, ou que j'aurai plus de loifir.
Cependant je vous fupplie de nVexcufer,
& me tenir coujoars en vos bonnes
grâces, priant Difu , Mondeur , voui
donner bonne & longue vie.
0^
^
(I^î)
RELATIONS des cérémonies du /acre
& couronnement de Menry IV. Roi
de France & de Navarre 2j. Février
JS94-
LE Dimanche vingt feptiéme iour
de Février mil cinq cens quatre-
vingt quîtorze, le Roi a été facré &: cou-
ronné en TEglife de Chartres avec les
cérémonies accoiltumées.
Le marin de ce jour fur les ^va heu-
res les fix Evêques défignés pour repré-
fcnrer les fix Pairs Eccléfwftiques , fe
fiinr rendus au chœur de ladite Eglife;
L'Evêque de Chartres repréfentoit
l'Archevêque , Duc de Rheims. Celui de
Nantes l'Evêque & Duc de Laon. Celui
de Maliezais , l'Evêque & Comte de
Beauvais. Celui d'Orléans l'Evêque &
Comte de Chaalons : celui d'Angers
rEvêque& Comte deNoyon. Ils éroienc
tous vêtus de leurs habits Pontificaux,
mitres & avoient des chapes de velours
cramoili à fond d'argent avec les écuf-
fons des armes de France.
Sur les Tept heures les Seigneurs qai
dévoient repréfenter les fix Pairs laïcs
entrèrent dans l'Eglife. M, le Prince de
Conty repréfentoit le Duc de Bourgo-
gne -, le Comte de Soi (Tons le Duc d'A-
quitaine ; le Duc de Montpenfier , celui
de Normandie. Le Duc de Luxembourg
le Comte de Flandres •-, le Duc de Rets ,
le Comte de Champagne; & le Duc de
Ventadous le Comte de Thouloufe. Ils
étoient tous habillés d'une robe de toille
d'argent à feuillages violets & incarnats,
qui leur defcendoit jufqu'à mi- jambe. Ils
avoienr ceints leurs épées par defTus dont
le foureau étoit de velour blanc , ils
portoient fur leurs robes un grand man-
teau d'écarlatte violette fourrée d'her-
mine mouchetée qui croit fort long ,
aVec un grand coîet aufîî fourré d'her*
mine. Les trois premiers avoie-nt fur
leurs têtes des couronnes d'or à la Duca-
le , & les trois autres des couronnes de
Comte.
Les douze Pairs étant ainfi alTemblés
s*a{îirent aux deux côtés du grand autel
& députèrent les Evêques de Nantes &
de Mallezais pour aller à la tête du
Chapitre de Lidite Eglife trouver le Roi
à fon logis & l'amener à l'Eglife. Les
députés furent trouver Sa Majefté jufr
f
ques à fa chambre dans le palais EpiP-'
copal. Ayant trouvé la porte fermée, ils
heurtèrent par deux fois , &c alors le
Duc de Longueville faifant les fondions
de grand Chambellan , leur demanda
fans ouvrir la porte ce qu'ils fouhait-
toienc ; les Evèques lui répondirent
qu'ils dematidoient celui que Dieu avoic
elu pour être Roi de France. Le Cham-
bellan leur dit , // efl céans , les députés
s'informèrent de ce qu'il faifoir. A quoi
le Chambellan répondit qu'il repofoir.
Les Evêques répliquèrent qu'il falloit
l'éveiller afin qu'ils puifent lui faire leur
révérence. Après avoir attendu quelque
temps le Grand Chambellan leur ouvrit
la porte en leur difant, que le Rqjétoit
éveillé. Alors les deux Evêques Pairs
entrèrent & après avoir falué Sa Majefté
ils lui firent une harangue dont la fub{^
tance étoit j que l'ayant reconnu pouc
vrai & naturel Seigneur & Roi , ils lui
venoient rendre la Foi & hommage
qu'ils lui dévoient , promettant de lai
être toujours fidèles ferviteurs &c lujets
& le fupplierent de fe rendre à l'Eglife,
où Ton avoir tout préparé pour fon lacre
& couronnement & pour fê faire voir
à Ton peuple.
( 16^)
Le Roi Ce leva auffitoc & prit le che*
min de l'E^life , ayant devant lui les
compagnies de !es Gardes Françoifes qui
fe rangèrent fur deux hayes depuis le
Palais Épifcopal jufqu'à TEglife. Sa Ma-
jefté étoit aufîiefcortée par les Archers
de fa garde, & les cent SuiflTes tous ha-
billés de la même livrée qui étoit de
fèrge grife , bouffant de taffetas verd &
incarnat. Les cent Gentilshommes por-
tant chacun leur becdecorbin doré. Les
trompettes & clairons (onnans pendant
toute la marche. Le Roi d'armes & les
fix Hérauts vêtus de leur côtes d'armes
de velours violet , avec les armes de
France en broderie d'or , étoient fuivis
d'un grand nombre de Gentilshommes
fuivalil laCour, de plufieurs Chevaliers
de l'ordre du Saint-Efprit , du Clergé
de ladite Eglife , des deux premiers
Huiiïîers portans leurs mafles. Marchoic
enfuite le Roi entre les deux Evéques-
Pairs , qui lui fervoient d'Ecuyers. Un
peu à côté ctoitnt les Seigneurs de
Chavigny Se de RambouilUc Capitaines
des cent Gentilshommes ; de les EcolTois
de la garde vêtus de leur Hoquetons
blans garnis d'orféveries & armés de
leurs hallebardes. Le Roi étoit luivi de
( 1^7 )
M. le Maréchal de Matignon , faifanf
les fondions de Connétable , habillé
ainfi que les Ducs & Pairs ; de M. le
Chancelier vêtu d'une longue faye de
velour rouge cramoifi, Se d'une robe
d'écarlate rouge , tenant (on mortier d'or
à la main; du Duc de LonguevilU gzand
Chambellan, du Comte de faine Pol
grand Maîrre , & de M. de Bel le- garde
grand Ecuyer,tous ces grands Officiers
étoient revêtus d'habits femblables à
ceux des Pairs ôz portoient des couronr
nés de Comtes.
Le Roi étant entré au chœur dans cet
ordre fut falué par les Pairs. Sa Majeftc
vint enfuite fe mettre à genoux au banc
& oratoire qui etoient prépares a cet
effet devant Se près le grand Autel. Ils
étoient pofés fur un eflrade élevé fur
le pavé de douze pas de longueur Se de
largeur & couvert de tapis fort riches.
L'oratoire étoir garni de plufieurs oreil-
lers de toille d'or & au-delfus étoit na
riche ciel de broderie. Le Roi après
avoir fait fa ptiére, ainfi que les grands
Officiers qui l'accompagnoient , chacun
prit fa place & fut s'atTeoir. Sçavoir le
Connétable fur un fcabeau derrière Sa
Majcfté. Le Chancelier fur un autre au
( i6B )
(delTous de S. M. & le Grand-Maître;
Je grand Chambellan & le grand Ecuyec
s'affirenc fur un banc derrière le Chan-
celier.
Incontinent après le Roi fut conduit
par les deux Evêques- Pairs au grand
Aurel , devant lequel il fit (a prière ÔC
préfenta fur ledit Autel, un grand reli-
quaire d'argent fort péfant en forme de
Temple , dont il faifoit préfent à l'Eglife.
Puis s'en retourna à fon fîége.
Cependant tout le Clergé de la ville,
excepté celui de l'Eglife du Château ,
s'étoit rendu à l'Abbaye de faint Père
pour chercher la fainte Ampoulle, qui
eft celle de l'Abbaye de Marmouftier-
les-Tours , laquelle avoir été feurement
conduite par le Seigneur de Souvray
Gouverneur de Touraine , aiïîfté d'un
grand nombre de Noblcffe & de trois
Religieux de ladite Abbaye de Mar-
mouftier qui portoient la fainte Am-
poulle. Ils paffèrent parla ville de Char-
tres le dix-neuf, où ils furent reçus avec
la plus grande vénération , les ruesétanc
tendues de tapilTeries.
La fainte Ampoulle fut apportée pro-
cefTionnellement de l'Abbaye de faint
Peie; par un des Religieux de Mar-
mouftier^
( x6ç) )
mouftier , monté fur une haquenée blan-
che avec une houlTe de Damas blanc ,
& fous un poifle aufli de Damas blanc
porté par quatre Religieux : aux côtés
marchoient à cheval quatre Seigneurs
pour la garde de la fainte Ampoulie ,
Tçavoir les Comtes de Dinan , de Chi-
verny , de Thermes &: de Provencheres
portant chacun le guidon de leurs armes.
L'Evcque de Chartres vint recevoir
la fainte Ampoulie à l'entrée du choeur ,
& la mit fur l'Autel avec beaucoup de
vénération. Il fut enfuùe derrière le
grand Autel fe revêtir de Tes .habits Pon-
tificaux pour célébrer la MeiTe , & revint
à l'Autel où le Roi fe mit à genoux de-
vant ledit Evcque, & jura fur l'Evangile
de défendre l'Eglife & de garder la juf-
tice en fon Royaume.
Le Roi retourna à Ton Ciégt , oii le
grand Chambellan & le grand- Maître
. lui "chauiïerent des bottines de fatin
violet femées de fleurs de lis d'or. M. le
Prince de Conti lui attacha les éperons
d'or que peu après le grand Chambellan
lui ôta.
Sa Majerté revint à l'Autel & alors
l'Evcque de Chartres bénit une épce nue
& reçut de nouveau le ferment du Roi.
Rl:ucil O. H
^ ^7o )
enfuite les deux Evêques qui conduifoient
le Roi, lui ceignirent i'épée & l'Evêque
du Chartres l'ayant retirée du foureau
la donna au Roi qui la pofa nue fut
l'Autel. L'Evêque de Chartres la remit
entre les mains de Sa Majefté , qui la
donna à M. le Connétable, il la reçut
avec refpeâ: & la tint toujours élevée
jufqu'après le dîner du Roi.
Après cela M. le Chancelier Ce leva
& ayant falué le Roi , il appella les Pairs
félon leur rang de Ducs ou de Comtes,
en ces termes. » M. le Prince de Conti
»s qui afiiftés à cet acfte pour le Duc
» de Bourgogne approchez-rous « &
ainfi des autres Pairs tant Eccléfiafliques
que Laïcs. Pendant cette invitation l'E-
vêque de Chartres apprêta du faint Crê-
ine avec un peu d'huile de la fainte
Ampoulle qu'il tira avec le bout d'une
aiguille d'or. Le chœur chanta les Li-
tanies en mufique , pendant que S. M.
demeura couché avec l'Evêque de Char-
tres au-devant du grand Autel fur un
matelas couvert de toile d'argent , ayant
j'un & l'autre le vifage tourné contre un
chevet de même étoffe. A la fin des
Litanies l'Evêque fe leva & fit fur le
Roi les bénédidions accoutumées.
( 171 )
Les prières étant finies le Roi Ce re-»
leva , & alors on le dépouilla de Ca robe
de teille d'argent. Sa Majefté fe remit
enfuite à genoux & l'Evêque en pro-
nonçant plufieurs oraifons , oignit le Roi
à la tête , à l'eftomach , entre les épau-
les , aux joinftures des coudes , la che-
mife &c la camifoie de fatin cramoifi du
Roi étant fendues à tous ces endroits.
Après ces onctions les Evêques Pairs
renouèrent les attaches de ces ouver-
tures.
L'Evêque étant retourné à i'Autel fît
d'autres prières , après lefquelles il deC-
cendit & vint oindre les paulmes des
mains de S. M. & lui mit des gands de
{"atin blanc.
Après cette cérémonie le Roi fut re-
vêtu par le grand Chambellan de Tes
habillemens Royaux , qui étoient une
robe en façon de chafuble de Diacre de
fatin violet , avec quatre clinquars d'or
fort large , une autre robe plus longue
de veloufs violet, puis un grand man-
teau auflî de velours violet , tous ces ha-
billemens écoient femés de fleuis de lis
d'or & fort pefans.
L'Evêque prit enfuite fur l'Autel la
grande couronne & avec lui les Pairs
Hij
( I70
la mirent tous enfemble fur la tête d«
Sa Majefté. Il bénit auflî un anneau
qu'il mit au doigt du Roi, le Sceptre
qu'il mit dans la main gauche , en réci-
tant les oraifons accoutumées.
Après le couronnement le Roi fut
mené à Ton thrône préparé fur le Jubé
ou pupitre de ladite Eglifejtour le long
duquel on avoit drefle un échafïaut, fur
lequel étoit préparé le thrône élevé de
quatre à cinq marches , avec un (îége
& oratoire de velours violet femé de
fleurs de lis d'or. On pouvoir voir ce
thrône de tous les endroits de ladite
Eglife , 6c aux deux côtés ctoient deux
bancs ou étoient aiïis à droite les Pairs
Eccléfiaftiques & à gauche les Pairs Laïcs.
Il y avoit de chaque côté du thrône
deux grands degrés fort larges pour y
monter Ôc dcfcendre ; au bas defquels
ctoient les Héraut» d'armes.
Sa Majeûé en allant à Ton thrône
ctoit précédé des Hérauts , des grands
Officiers , du Chancelier & du Conné-
table. Le Roi marchoit entre les deux
files des Pairs , ayant la queue de Ton
manteau Royal pottée par Monfieur de
faint Luc.
. Le Roi s'étant alTs fur Ton thrône ôc
( Ï75 ) .
les douze Pairs ayant pris place fur lè'i
bancs qui leur avoient été préparcs >
l'Evêque de Chartres fe leva & après
avoir falué le Roi , il fe retourna du côté
du Peuple & cria, vive le Roi a
JAMAIS. Alors S. M. fe leva & s*étanc
avancé du côté qui regarde la Nef de
rEglife, il fe montra au Peuple qui cria
à haute voix & avec les marques de la
plus vive allégrede, Vive le Roi. Ces
cris de Joie étoient accompagnes du Ton
des trompettes , des clairons , & des
tambours. Un Héraut d'armes jettà en-
fuite beaucoup de pièces d'argent.
Le Roi retourna enfuire à Ton thrône
dans lequel il s'alîît , ôc l'Evêque de
Rente s'ctant approché de Sa Majefté
lui fit une révérence profonde , Se le baifa
à la joye. Les autres Pairs montèrent
au thrône & en firent autant.
Le Chancelier , le Connétable, le
Grand -Maître, le Grand Chambellan
& le Grand Ecuyer fe tinrent debouc
pendant cette cérémonie, chacun à leur
place & faluerent les douze Pairs à me-
fure qu'ils pafferenr.
Ce fait l'Evêque de Chartres afllfté
de l'Abbé de fainte Geneviève de Paris
pour Diacre, ôc du Doyen de cette
H iij
C 174 )
Egîife pour fous Diacre avec dix autres
Diacres & fous Diacres tous Chanoines
de cette Eglife , commença la grande
Meffe qui fut chantée par les Chantres
de la Chapelle du Roi, qui étoienc à
Taigle du chœur. Sa Majefté ayant quitte
fon fceptïe & fa main de juftice, qui
furent pofés fur deux oreillers de toille
d'or 5 entendit la Meffè avec beaucoup
de dévotion.
Après l'Evangile, Monfieur l'Arche-
vêque de Bourges grand Aumônier de
France partit d'auprès du Roi où il étoic
à genoux , & afiîfté de Monfieur du
Perron premier Aumônier , nommé à
l'Evêché d'Evreux , & des quatre Aumô-
niers ordinaires fut à l'Autel prendre
de la main du Diacre le Livre de l'E-
vangile, qui étoit couvert à l'endroit
de l'Evangile du jour d'un taffetas rouge
que le Diacre ôra , en donnant le Livre
au grand Aumônier , qui l'apporta en
grande révérence au Roi , & l'ayant fait
bàifer à S. M. il le reporta à l'Autel
avec le même cortège.
Le ginni Aumônier étant de retour
auprès du Roi , prépara l'Hoftie & le
vin pour la communion de Sa Majefté
& après en avoir fait l'elTay , il le porta
( 175 )
a TAutel pour ctre confacré par l'Eve*
que de Chartres.
Après cela le Roi fut à l'ofliande
précédé des quatre Hérauts d'armes , des
quatre Aumôniers ordinaires , du pre-
mier Aumônier, du grand Aumônier Se
des grands Officiers de la Couronne i
quatre Chevaliers du Saint -Efprit por-
toient les offrandes de Sa Majeflé. M. de
Sourdy Gouverneur de Chartres por-
toir un vafe d'or plein de vin. M. de
Scuvray un pa\n d*argent. M^à'^mra-
gués un pain d'or. M. Defcars une bourfe
dans laquelle il y avoit treize pièces
d'or chacune de la valeur de douze écus.
Le Roi fu'vi des douze Pairs en arrivant
à l'Autel fe mit à genoux fur un car-
reau qui lui fut préfenté par le grand
Aumônier, qui reçut les offrandes pré-
fentées par S. M. Le Roi après avoir
fait ces offrandes retourna à ion thrône
dans le même ordre qu'il étoit venu à
J'Autel.
A VJgnus Dei le grand Aumônier
accompagné comme il Tavoit été à l'of-
frande fut à l'Autel recevoir le baifer
de paix de M. TEvêque de Chartres ,
enfuite vint baifer le Roi. Les Pairs don-
nèrent aufïï le baifer de paix à S. M.
H iv
( nn
fur la fin de la Meffe. Après les béné-
di(f^ions folemnelles & accoutumées fai-
tes par PEvêque célébrant , Sa Majefté
fe rendit à l'Aurel dans le même ordre
ciu'elle y avoit éré lors de Toffrande.
Lorfqu'il fut arrivé il ôra fa couronne 8c
reçut la communion fous les deux efpcces.
Après cela TEvêque mit fur la tète
du Roi une couronne de moyenne gran-
deur. Lorfque la Mefle fut achevée , Sa
Majefté forîit de l'Eglife & retourna dans
Ton logis dans un pareil ordre qu'il étoit
venu; il y avoir en outre devant S. M.
Je iieur de Roquelaine Maître de la
garderobe portant la main de Juftice.
Le lîeur d'O premier gentilhomme de
ia Chambre portant le fceptre , & le
Duc de Monîba-:^on portant la grande
couronne fur un oreiller de toille d'or.
Les douze Pairs fuivoient le Roi tout
Je peuple criant fans ceHfè, vive le Roi.
La fainte Ampoulle fut enfuite recon-
duire iufques à l'Abbaye de faint Père
dans le même ordre qu'elle avoit éré
apportée, par le Clergé, les Religieux
& les quarre Barons ci-deffus.
Le Roi de retour à fon Logis fe mit
à table , M. le Prince de Conû donna
la fervietie pour laver , la bénédi(flîon
( 177 )
fut faite par M. l'Evêque de Chartres.
La table du Roi éioit entre celles des
douze Pairs , mais plus élevée. M. le
Comte Aefaint Paul fit pendant le dîner
l'office de grand Maître. Le Comte de
Sancere celui de grand Echanfon. Le
Connétable tenant l'épée nue la pointe
élevée demeura debout durant le dîner.
A chaque fervice les trompettes & les
clairons fonnerent.
Au coté droit du Roi croit une autre
table à laquelle étoient aflls M. les Anv-
bafladeurs d'Angleterre & de Venife, le
Chancelier , les quatre Seigneurs qtri
avoienc porte la couronne, le fceptre,
la main de Juftice & la queue du man-
teau Royal, & les quatre Chevaliers qui
avoient porté les offrandes du Roi.
Le Roi s*ctant levé de table , M. de
Chartres dit les Grâces qui furent chan.
tées par la mufique du Roi. S. M. fe
retira enfuite dans fa Chambre dans îe
même ordre qu'elle étoit venue de l'E-
glife. Alors le Connétable & les autres
grands Officiers fe retirèrent.
Le lendemain Li^ndi dernier jour de
Février, Sa Majefté reçut Tordre da
Saint-Erprit avec les cérémonies accotr:
( I7S )
SONNET fur le Sacre du RoL
FRANÇOIS c'eft à ee coup que nous verrons-
efteinte
La Ligue, vrai fuzil <fe nos calamicez
Et bientofl rEfpagnol quittera nos citez ,
Qii'il nous avok ravi , foubs fa piété feinte^
Long-temps a que le Roi de Dieu l'image
empreinte ,
Tovx nous régir en paix ; mais les folemnitcs
De fon Sacre , ont tardé nos parrialitez ,
Oindre ores l'avons de Chartres dans i'eni-
ceinte.
Par ce Sacre divin plus Augufte il fera.
Son diadème un front redoutable rendra,
D'^fvoire par la main qu'il tiendra nous dé-
monftre ,
Qo'it fera de Themis très-Ibyal Proteélear,
Et fon glaive Royal le défigne vainqueur,
De la fiere Erynnis , de BeÙonc Se du monftie.
•"K^
( 179 )
REMONTRANCE au Roi Henry IK
contre les hlajphémateurs , par M. de
Lanagerie ijçp»
Sire. Comme la voix d'un ccho s'en-
cend volontiers , & ne fe trouve ja-
mais aubefoin, de même les Edirs qui
fe font en votre Royaume font très-
volontiers écoutez , & mal obfervez, &
il femble que leur vertu conlifte feule-
ment à la le<flure , laquelle achevée »
Tobéi (Tance ell finie.
L'impunité engendre la tranfgredîon ,
& eafevelit l'autorité. Mêmes effets ap-
portent les réglemens faits par \qs Cours
de Parlemens contre les exadions faites
fur le peuple r pluâeurs mal à propos
rejettent la faute fur les Officiers de la
juftice » à qui la ciiarge de les faire ob-
server eft adreiïée. Ils font fi occupez
à rendre la jnftice à ceux qui (on: fous
leurs yeux , & qui la leur demandent »
qu'ils ne peuvent vacquer à punir ceux ,
contre lefquels perfonne ne leur parle j
tellement qu'à faute de partie & d'iafli-
H V)
( i8o )
guant * 5 piufîeurs crimes demeurent
impunis î & enrre autres le blafphéme
contre Dieu, ne faifar.t la plupart des
hommet), non plus de difficulté de blas-
phémer , que de manger. L'ire de Dieu
a toujours découlé Air les Royaumes
par le canal du blafphéme.
La paix inopinée que Dieu vous a
donné , vous foUicite afTez de remédier
à ce mal , de puifque V. M. a commandé
la celfation des armes pour empêcher
d'offenfcr les créatures , il eft raifonna*
h\e qu'elle fade ceflTer les blafphêraes
qui offenfent le Créareur ; & pour ce
faire , j'ai penfé depuis avoir parlé à
V. Me des remèdes fort certains , par
îe moyen defquels elle ehaflera bientôt
le blafphéme de fon Royaume , tocs les
autres péchez regardent l'intérêt du pro-
chain ; mais celui-ci eft diredemenî
tout contre Dieu.
Il y a en chaque ville de votre Royau-
me trente perfbnaes qui s'occupent à
faire fendre la judice aux hommes , &
qui vivent aux dépens du public , pour
faire obferver les loix des Empereurs ,
& les ordonnances de vos prédécefTeurs :
31 fc trouvera parm.i ces trente > quel-
* DcUteurs , provocsuïs , re<5^ae£anM
qu*Avocat ou Procureur pouc prendre
la charge de défendre l'honneur de Dieu ,
& Ce rendre partie contre les blafphé-
mateurs : le tiers des amencies fuffira
pour leurs gages , confideré que leurs
peines & vacations feront payez fur les
dépens que le juge taxera fur les délin-
quants , par ce moyen on remédiera
facilement ,fans toucher à vos finances,
ni à la bourfè du peuple , & moins eft-iî
befoin de faire fur ce aucuns Edits ni
ordonnances de nouveau ; mais feule-
ment de faire obferver ce qui a été mû-
rement délibéré & cftdonné » tant par
votre Confeil, que par les Etats.
Il eft certain que la Loi ni l'Ordon-
nance n'ont point de paroles vives pouj
folliciter , ni langue pour accufer , &
moins de boiirfe pour frayer aux frais
de juftice. Les amendes fuffiront à tous
les frais, il n'eft question que de dépu-
rer un Comntîiiïaire, lequel avec l'avis
des Officiers des lieux, pourra choifir
une perfonne qualifiée pour être commis
en la charge d'inftiguant. Cela dépend
de votre commandement , & de la vo-
lonté & obéiflance de M» le Chancelier^»
fans qu'il foie nécedaire d'ufer d'autra
Corqiâlicé : Le commandemenc de, pui^
( i8i }
iahce abfolue ne fut jamais mieux em-
ployé: les fréquentes & ordinaires conf^
pirations que l'on fait fur votre vie ,
font autant d'avertifTemens que Diea
vous envoyé , pour vous montrer que
vous devez avoir autant de foin de dé-
fendre fon honneur, qu'il a eu jufques
ici de conferver votre vie j & que li
V. M. foufîre que l'on blafphcme contre
lui 5 il permettra que l'on confpire con-
tre vous , vous avez fur tous les Rois
plus d'expérience de fon affiftance ; d'au-
tant eftes-vous plus obligé à défendre
fon honneur. La feule colère éroit le
pafTe * la mère qui engendroit le blaf-
phême , mais à préfent on blafphême
en risnr, & qui blafphême le plus, parle le
mieux. Tellement qu'il femble que l'en-
nemi de notre ^alut Ce foit rendu Sei-
gneur foncier de nos difcours, ou qu'il
ait pris en afferme toutes nos paroles ,
& que de trois mots , il en tire un blaf-
phême pour fon droit ; les chambrières
s'en mêlent , les valets s'en jouent , les
petits enfans s'y adonnent , les artifans
en font métier , les médiocres n'en font
pas moins , & la plupart des granâs
n'en font pas exempts. C'cft le torrent qui
♦ Anciennement.
( iJ?5 )
tefle du déluge de Ja longue guerre
palfce.
On allègue pour toute excufe que
c*efl: une mauvaife coutume, je répons
que celui qui blafphême par coutume ^
fera damné par ufage > car comme la
coutume engendre l'habitude, la juftice
Élvine produit , & met fa punition en
ufage : 11 ne fe peut autrement » confi-
deré que le blafphême eft l'avant-cou-
reur de l'impiété , tellement que quand
le biafphémateur monte à cheval , l'A-
théifme lui monte en trouîTè , étant cer-
tain que qui renie , defnie.
Je fçai que ehacun portera fon far*-
deau , cela s'entend pour le principal y
& non pour l'accefToire. Celui qui écou-
te & entend blafphérner , peut bien être
exempt pour ce regard de la peine de
damnation ; mais non pas de la punition
que fa. Juftice diftribue en ce monde »
tant fur le criminel, que fur l'innocent.
Cela fe fair , tant pour nous induire à
reprendre les blafphémateurs , que pour
nous inciter à pourfoivre le châtiment
par- devant le Magiftrat -, & puifqu'à
faute de remonftrer & de s'oppofer , l'in-
nocent eu puni j V. M. qui a le fceptre
(184)
de la jurtice en main , doit d'autant plus
craindre le courroux de Dieu.
'V C'eft une des principales occasions
qui m'induit à vous faire cette remon-
trance, craignant que V. M. paye les
dépens de cette procédure , ce qu'elle
peut éviter par l'exécution de cette com-
mifîîon. Ce defTein eft bien féant à votiè
zèle , convenable à votre ame 1 & digne
de V. M. & ferez à bon droit appelle
de nom & de fait Roi très-Chrétien , ôc
vous attirerez par ce moyen de plus en
plus la bénédidlion de Dieu fur vous.
Mon entreprife eft infaillible, Diea
la bénira , puifqu'elle ne regcirde que fa
gloire, votre icrvice , le bien public,
le cours delajuftice , & le foulagement
des Juges , tant en la rechercfie du cri-
me, qu'en la pourfuite d'icelui : bref ,
elle profite à tous, & ne nuit à per-
fonne. Le profit ne fe peut mieux con-
noître qu'en repréfentant le dommage
que le blafphême porte par fa propre
defcription , laquelle j'ai recueillie dt
divers Auteurs, avec tant de foin qu£
de defir, que j'ai de couronner par cette
ceuvre , le fer vice de trente ans que j'ai
faiî à V. M. avec inteniion de demeurer
( iS5 }
le refte de ma vie , Sire. Votre plus
que très- humble fujet & ferviteur, La-
nagerie.
Defcrîption du Blafphcme.
Le blafphême eft le crime de Icze-
^ajefté divine , le mépris de Dieu ,
l'ame de l'ingratitude , le témoin de l'im-
picté , réclipte de la dévotion, l'ennemi
de la Foi , le fcandale de l'Eglife , le
tonnerre de la terre , la frayeur des
Elus , l'organe de l'Antechrift , la mé-
lodie des Enfers, le prix de la vanité,
le garant des menteurs , l'alTurance Aes
afFronteurs , la parenthèfè des fuperbes ,
l'indice de la maliee , la mort de la ver-
tu , le fépuîchre de la bienféance , la
pefle des âmes, la gangrené du péché,
la ruine des Royaumes, la caufe du Dé-
cret du ciel contre les Princes , bref,
le blafphême eft la lie du Calice de Tire
de Dieu , & Talembic qui diftile fa ma-
lédidion fur nous , & la continuation
efl l'aéte de réprobation. Très-heureux
eft le Roi qui chaftc ce monftre de foii
Royaume.
( iS6 }
Lettre du Roi cl M. le Chancelier.
MOnfieur le Chancelier , je trouve
bonne la commiffion que le fieur
de Lanagerie m'a préfenrée touchant les
blafphêmes , parce que vous la lui fêtez
expédier , comme chofe que je veux '■,
auflî que vous mandiez par devers vous
mes gens , pour leur commander de ma
part, qu'ils ayent à pourfuivre la véri-
fication de ladite commiffion à ma Cour
de Parlement, & celle - ci ne rend à
autre fin. Dieu vous ait , Monlieur le
Chancelier, en fa garde. Ce 4^ Novem-
bre 1598. a.\nû Jigné Henry, & au dos
efl: écrit. A Monfieiu le Comte de Chi-
verny Chancelier de France.
^■J^
#y^
l
r^87)
POMPE funèbre de Henry le Grand
IV. du nom Roi de France & de
Navarre. Faite à Paris & à S, Denis
les 2ç. & jo. Juin 16 lO.
LE Roi crant décédé le léî.Mai Kjio..
la Reine affidée des Princes , Pré-
lats & grands Officiers de la Couronne
mit en dclibcration de lui rendre les der-
niers devoirs & de lui taire des obfecjues
fuivant X étiquette Koy aie ^ & de donner
ordre tant pour faire prier Dieu pour
fon ame , que pour toutes les cérémo-
nies qui dévoient être obiervées aux fu-
nérailles de ce grand Monarque.
Le 18. Mai le corps da Roi fut mis
dans un lit la face découverte , &: après
avoir été expofé à la vue du peuple , il fut
procédé à l'ouverture & tmbaumement
de fon corps , dont on tira fon cœur
pour le porter à la Flèche , & fes en-
trailles à faint Denis, ainfi qu'il l'avoit
ordonné de fon vivant. Apres cela il fut
enfeveli & mis dans un cercueil de
plomb couvert de velours violet fur le-
quel étoic une grande croix blanche.
( i8S )
Le lendemain qui étoit le jour de la
Pentecôte , fur les quatre heures du ma-
tin , le cœur du Roi , qui avoit été em-
baumé dans un cercueil de plomb revêta
de vermeil fut porté à la Flèche , Heu
de la fépulture du Roi de Navarre (on
père, accompagné de quatre cens Maî-
tres à cheval , tant Seigneurs Gentils-
hommes qu'autres. Le cœur étoit dans
un carolTè fur une petite eftradc au mi-
lieu de quatre Pères Jéfuites qui l'ac-
compagnoienr.
Etat & ordre de la Chambre du Trépas»
L E corps ayant été pofé dans le cer-
cueil , fut mis dans une chambre riche-
ment tapifTée , fur un lit à côté duquel
on avoit drelTé deux Autels ou (ê di-
foient tous les Jours cent Méfies célé-
brées par des Prêrres de divers ordres.
Dans la Chambre croient plufieurs
bancs richement couverts pour alTeoir
les Princes & Officiers de la Couronne,
les Cardinaux , Archevêques , Evêques ,
grand Aumônier & autres Prélats &
Officiers d'Eglife. Auprès du bénitier
étoient deux Hérauts d'arraes & des deux
côtés étoient plufieurs autres bancs pour
\ (iSç,)
afleoîr les Religieux qui pfalniodioienc
jour 6c nuit.
On avoir pofé fur le corps dn Roi (a
couronne , le fceptre & la main de jus-
tice, fur an grand couffin de riche bro-
derie. Le corps refta ain(î dans ladite
Chambre Tefpace de quinze ou feize
jours ; il fut enfuite defcendu ôc porte
en grand honneur 6c cérémonie, en la
grande falle bade du Louvre , affilié des
Evêques, Prélats 6c grands Seigneurs
de la Cour-
SaUe d'honneun
La grande falle d'honneur étoit ta-
pîflce des plus riches tapi(îèries du Roi
depuis le haut jufques en bas même
contre le plancher 6c les pilliers. Aa
long de ladite falle on avoir formé
^eux galeries des deux cotés pour l'entrée
6c la fortie des Princes & des grands
Seigneurs , lefquelles galeries étoient
couvertes de riches tapis de pied.
Au haut de ladite falle étoit érigé un
t-ribunal de quatre marches fur lequel
étoit dre^Tc un grand châlit couvert d'un
grand drap de toiUe d'or fur lequel ctoic
pofce l'effigie du Roi , relevée 6c faite en
( Î90 )
cire ayant les mains jointes &c vécue des
habits Royaux , la couronne fur la tête
qui repofoic fur un couflîn de riche bro-
derie. Sur Ton manteau Royal étoit le
coller de l'Ordre & à Tes deux côtés
étoient pofés le fceptre Royal & la maiti
de Juftice.
Près de ladite effigie étoient deux:
Autels richement parés l'un à droite &
i'autre à gauche. A celui de la droite
on difoit une Méfie de Requiem en
mufique & à celui de la gauche Ce di-
foient quatre autres Méfies. Sur chacun
des Autels étoit un riche poifle& entre
deux étoient plufieurs fiéges pour les
Prélats & Religieux qui pfalmodioienc
& tout du long de la falle dans le bas
étoient plufieurs autres Autels aufîî fort
richement parés où l'on célébroit des
Méfies bafies.
L'effigie étoit ordinairement fervie
de viandes fur fa table par Tes Maîtres
d'Hôtels , Pannetiers , Echanfons , valets
tranchans , Officiers & Aumôniers , Se
l'ordre étoit gardé comme fi le feu Roi
eût été vivant. On faifoic les eflais , on
difoit le benedicite, on rendoit grâces à
Dieu Se cnfuite les viandes étoient dif-
trtbuées aux pauvres.
Le vingt-unième jour de Juin l'effi-
gie fut levée, ainfi que les tapifTeries
&toute ladite falle fut entièrement tendue
de drap noir , & le corps du feu Roi
fut mis à la place de l'effigie Se couvert
d'un grand velours noir qui traînoit
jufques à terre , avec une croix de fàtin
blanc & le poifle delTus le velour noir.
Deffijs le cercueil étoient la couronne
Royale, le colier de l'ordre, le fceptie
&c la main de juftice. Au pied du cer-
cueil étoit une grande croix d'argent,
fur un couffin près de laquelle étoient
des grands cierges allumés brûlans ordir
nairement dans des chandeliers d'argent,
ôc aux deux côtés étoient deux Hérauts
d'armes, qui de deux heures en deux
heures étoient relevés par d'autres.
Le vingt-deuxième jour de Juin Henr
ry III. Roi de France & de Pologne
fut poité à faint Denis , ce Prince étoit
reflé en dépôt à faint Cloud , fous la
conduite de M. le Duc d'Epernon ac-
compagné d'un grand nombre de No-
blerfè & d'Officiers , & le lendemain le
fervice fut célébré pour lui par M. le
Cardinal de Joyeuie Archevêque de
Rouen & enluite mis dans la cave au-
près du Roi Henry II. fon père ; de la
\
Reine fa mère & des autres Princes
de fa Mâifon. Cette cave fut enfuira
fce liée.
Le 23. dudic mois de Juin Louis XIII.
Roi de France & de Navarre à préfenc
régnant , dîna à l'Hôtel de Longueville
& après dîner fut conduit en belle or-
donnance jufqu'au Louvre pour donner
de l'eau bénite fur le corps du feu Roi
fon père , accompagné de Mefîieurs Ces
frères , qui étoient portés à fes deux
côtés fçavoir , Monsieur Duc d'Orléans
à droite , & M. le Duc cT Anjou à gau-
che , à côté de Sa Majeflé ctcient les
Cardinaux de Joyeufe & de Surdi.
Sa Majefté portoit le grand deuil vio-
let à longue qjjeue qui étoit portée par
Meffîeurs les Princes de Conty , de
Soiffons j de Gui/e _, de Joinville &
d'£/^^«/fuivis des Maréchaux de France
6c des Chevaliers de l'Ordre. Plu (leurs
Evêques , Prélats , grands Seigneurs &c
nombre infini de NoblefTè , grandes
Dames & Damoifelles étoient dans la
faile qui artendoient la venue du Roi qui
ayant jetié de l'eau bénite fe retira au
Louvre.
Le lendemain i6. Me(Tîeurs de la
Cour de Parlement fur les dix heures
du
du matin au fortir de Taudiance allèrent
aiiiïi au Louvre en l'ordre accoûrumé
pour donner de l'eau bénite. Ils éroieM
fuivis de Meilleurs de la Chambre ries
Comptes , des Aides , Généraux des
Monnoyes & état de la juftice , du Pré-
vôt de Paris , Prévôt des Marchands &
Echevins de la ville.
Le Lundi 28. les douze CTieurs jures
de Paris parle commandement qui leur
fut fait , s'étant vêtus des écuiTons &
armes du Roi qu'ils portoient par de-
vant & par derrière, allèrent par cous
les carrefours de Paris avec leurs clo-
chettes Tonnantes pour annoncer le con-
voy &: les funérailles du feu Roi , criant
à hante voix les paroles fuivantes.
» Nobles & dévotes perfonnes priés
» Dieu pour l'ame de très -haut, très-
« puifTant , & rrès • excellent Prince
» Henry le Grand par la grâce de
w Dieu Roi de France & de Navarre ,
»> très Chrétien, trcs-Augufte, très-vic-
»> torieux , incomparable en magnani-
»» mité Se clémence , lequel eft trépade
« en Ton Palais du Louvre, priés Dieu
» pour qu'il reçoive Ton ame.
» Mardi à deux heures après midi
u le corps de Sa Majefté fera levé pour
Recueil O. I
»î être porté en l'Eglife de Paris, auquel
M lieu ce même jour fe diront Vêpres
»j & Vigiles des Morts & le lendemain
M matin , Tes fervices & prières accoû-
»j tumées pour à la fin d'icelles être
»> porté en l'Eglife faint Denis , fépul-
« ture des Rois de France & y être
>» inhumé. Priés Dieu qu'il reçoive Ton
M ame. «
L'ordre du convoy allant à Notre-Dame.
Le Mardi 29. Juin on tendit de noir
les rues depuis le Louvre jufqu'à Notre-
Dame , fur lefquelles tentures éioient
les armoiries de la ville proche l'une
de l'autre , & à chacune maifon une
torche allumée.
Le même jour fur les deux heures
après midi les funérailles commencèrent
à cheminer dans Tordre qui fuit.
Premièrement , marchèrent les Capi-
taines , Lieutenans & Enfeignes de la
maifon de ville avec leurs grandes ro-
bes , l'épée au côté, le capuchon & cor-
nettes i les Archers arbalétriers de ladite
ville vêtus de leurs cafaques de cou-
leurs en broderie, 6c le capuchon de
deuil par de^us au nombre de cent
( I5>? )
toîxante- douze, marchant deux à deur
les mèches allumées portant leurs arque-
tufes & hallebardes rcaverfées & divifés
en trois bandes.
Après eux marchoient foixante Pères
Pénitens du tiers ordre de (aine Fran-
<çois.
Quarante-cinq Pères du troifiéme or-
dre de faint Louis.
Les Capettes autrement les pauvres
•écoliers du Collège de Montaiga au
nombre de trente- trois. Quatre-vingt-
trois Capucins. Soixante- huit Mini/nes,
Deux cens vingt-quatre Cordeliers.Cent
cjuatre- vingt- dix Jacobins. Cent Au-
guftins. Cinquante Carmes ôc trente-
cinq Feuillans.
Lacroix étoit portée devant tous ces
Religieux, Si à côté de la croix quatre
Torches auxquelles étoient attachées les
écuffons & armoiries du Roi.
Après eox marchoient cinq cens pau-
vres habillés de grandes robes de drap
noir ,aveG lé chaperon en forme , chaul-
(ès & fouliers , portans chacun une tor-
che ardente à doubles armoiiies du feu
Roi.
Suivoient enfuite vingt-quatre crieurs
]urés de la ville de Paris, fonnauc de
( I90
leurs clochettes ayant par derrière Se paf
devant les armes da Roi.
Apres eux marchoit le Chevalier du
Guec avec fon Lieutenant en grand
deuil , tenant un bâton à la main , fuivi
de toute fa compagnie vêtue de leurs
cafaques , portant derrière l'épaule des
cornettes de drap noir. Au milieu delà
compaf^nie marchoit le Capitaine Enfei-
gne , traînant Ton enfeigne par terre,
couvert de crefpe noir , les tambours
bâtant piteufement auflî couverts de
crefpe noir.
Après marchoient trente Sergens du
Châtelet vécus de grandes robes noires
de bonet caré, tenant chacun un bâton
noir à la main. Les Sergens de l'Hôtel
de ville venoient enfuite au côté gau-
che , & ceux du Châtelet à cheval à
main droite.
Après eux fuivoient les Notaires ,'
Commifiaires de quartiers i les Procu-
reurs , Avocats du Châtelet tout par
ordre , vécus de longues robes de deuil
& bonet carré du côté droit. Et les Pro-
cureurs Commis Greffiers & Bourgeoi»
de la ville à main gauche, auflî vêtus
de mêiv.c façon.
M. le Lieutenant civil du Châtelec
croît après eux à droite, & M. le Lien-
tenant criminel à gauche > fuivis des
Confeillers du Châtelet.
Marchoient enfuite les Religieux de
fainre Avoye , alias Pique- puce. Les
Blancs- manteaux, fainte Catherine du
Val. Le Collège des Mathurins , faine
Paul , faint Etienne du mont avec Tainc
Euftache &: fainte Croix de la Cité.
Saint Sauveur , faint Jacques de b Bou-
cherie, faint Gervais. Les faints Inno-
cents, faint Germain le viel , faint Hi-
laire, faint Jacques de l'Hôpita'. Saint
Etienne des Grès. Saint Nicolas du
Chardoneret , faint Barthélémy , faint
Seveiin, la Magdeleine , faine Su'pice.
Les Bernardins , faint Magloire , faint
Jacques du Haut pas , faint Martin des
champs & faint Germain des Prés. Saint
Vidor, fainte Geneviève , les quatre
filles de Notre - Dame , qui (ont faine
Mery, faint Benoît, fainte Oportune &
faint Germain del'Auxerois. Saint Ho-
noré, faint Thomas, faint Nicolas du
Louvre. Notre-Dame avec la fainte
Chapelle ôc faint Marcel chantons en
Mufique, & à gauche marchoir lUni-
verfités les maîtres Arts , Licentiés ,
principaux Régens , Bacheliers , Dodeurs
( 1^5 )
en ?vfédectne avec leurs robes rouges
êc mitres, Do(fleurs en Droit canon Se
civil , Dofteurs en Théologie de tous
les ordres , tes Bedeaux de l^CIniverflré
& le Reâ;eur. Après eux marchoienc
les mf (Ta^ers Jurés & fuivoic le Maître
des portes vêtus de grandes robes noires
& capuchons.
Après marchoient les Pages de récil-
rie vêtus de ferge noire , fuivis des
Maures de haut- bois des flattes inflru-
mens muficaux, trompettes &" tambours
couverts de noir. Venoit enfuite M. de
Crequy à droite, & M. de Y Eure à gau-
che , fuivis des Capitaines Lieutenans &
Enfeignes des Garde* & Régiment du
Koi. ^
M. le grand Prévôt de l'Hôtet mar-
choic après à cheval , aufîî habillé de
noir traînant une longue queue foûrenue
par fes Officiers , fuivis de Tes Lieute-
nans Enfeignes à pied avec grandes ro-
bes noires chaperons & leurs cafaques
deffus portant leurs efcopettes & halle-
bardes fous le bras.
Le Capitaine de la porte de la mai-
fon du Roi avec fes portiers ayant leurs
cafaques en broderie le capuchon de
deuil par delTus.
M. cJe MarolUs a côré droir , &• M. de
Bouillon ôc M. de la Bordoifiere fou
Lieurenant , fuivi du Capiraine dts cens
Suiiïes da corps habilles de drap noir
& camelot floqnant &: bonet rond pliHe
de camelot , Tenfeigne couverte de cref-
pe noir.
M. de la Palus en rêre des deux Com-
pagnies des deux cens G:nrj's!iomme;
d'honneur, fuivies de deux Enfeignes à
fçavoir celle de M. de Vidanie du Mans',
à main droite & celle de M. de la
Bordoifiere , à main gauche tous habillés
de lerge noire avec la cornette.
Apres marchoient cent foixante Ofii-
clers du commun du Roi. La Mufîqiie,
les Médecins , Chirurgiens, Valet de
garderobe & de la Chambre du feu Roi ,
chacun fcparement. Les Huiffiers de la
falle tête nue leurs chaperons avaîlcs.
Les Gentilshommes (ervans & maîtres
d'Hôtels à droite. Les Généraux des
Monnoyes & Chambres des Comptes
à gauche.
Après eux allouent huit trompettes en
deuil couvertes de crefpes. M. de Pv.ho-
dés maître des cérémonies portant le
Panon du Roi.
Le chariot d'armes couvert d'un grand
I iv
( lOO )
drap poiflé de velours noir croife cfe
farin blanc , enrichi de vingt -quatre
grands EcunToas de France en riche bro-
derie , mené par fix grands courfiers
auiïi couverts de velours noirs avec une
croix de faiin blanc par le n\i!ieu, gui-
dés par deux chartiers habillés de ve-
lours noir la tête nue & chaperon ra-
baru.
SuivoientauiTî douze grands courfiers
couverts de velours noir croiféde fatin
blanc, fur chacun defquels étoit monté
un Page vêtu de velours noirs la tête
nue & le chaperon avalé.
L'Ecuyer Benjamin fuivoit après por-
tant les Eperons dorés , l'Ecuyer de
Betbe-:^e portoit les gantelets. M. Plu"
yinet l'écuiron de France & de Navarre
& M. de Vicomte de Lijle portoit la
cotte d'armes.
M. le Premier portoit le Heaume
timbré à la Royale , d'un manrelet de
velours violet femé de fleurs de lis d'or
& doublé d'hermine , & la couronne
Royale au-delTus du Heaume, le tout
couvert de crefpe noir. Tous les Ecuyers
qui portoient ces pièces d'honneur étoienc
à cheval en longues robes de deuil (3c
ie chaperou en forme.
C 20I )
Apres marchoicnt les PrédîcStcnrs ,
ConfelTèur & Aumôniers du Roi. Sui-
voient à pied dix-fept, ranc Archevê-
ques qu'Evêques tous mirrés de mitres
blanches & portant chspes de ve-
lours noirs , à la fin defquels marchoit
M. l'Archevêque de Lyon ieul & éloi-
gné des antres.
Après croient Meflleurs les Ambafni°
deurs de Savoye, de Venife, & d'LC-
pagne à cheval habillés en grand deuil
à longue queue portée chacune par fîx
de leurs Officiers. Lefquels AmbafTa-
deurs étoienc conduits chacun par un
Archevêque ou Evêque montés fur des-
mules.
Marchoient après les deux NonceS'
ordinaires & extraordinaires ayant à
leur côtelés Archevêques d'Aix & d'Em-
brun montés fur des mules. Suivoienr
les Cardinaux de Joyeufe & de Sourdls
avec leur chapes violettes & chapeau
rouge audi montés fur des mules &
fiiivis de leurs OHiciers.
Après eux alloit le cheval d'honneur
entièrement couvert d'une houlTe de
•velours violer azuré femé de fleurs die
lis d'or , la bordure de frange d'or, une
fellg & étrier tichement dorés , duqu:L
l 7
( loi )
chevaî^on ne voyoit que les yeux » 8c
il éroir conduit par deux Ecuyer à pied
chaperon enformé.
Des deux côtés du cheval marchoienc
dix H.rauts d'armes, vêtus de deuil cha-
peron enformé ^ ayant leur cotte d'ar-
mes par dellus leur robe de dueil, lef-
quelles cottes étoient femées de grandes
fleurs de lis d'or delTus.
M» le grand Ecuyer venoît enfuite
fnonté fur un grand couflîer houfTc ôc
couvert de velours noir, grande croix
de latin blanc portant l'épée Royale eri
écharpe dans le foureau de velours vio-
let femé de fleurs de lis d'or.
Puis venoient quatorze H ui (Tiers de
îa Cour de Parlement la baguette à la
main , «Se après eux MeOîeurs les Préfi-
dens Se Confeillets en robes rouges au.
Hombre de quatre-vingt-neuf.
Après eux venoient deux Huiflîers
de Chambre avec leur maflè , ayant la
tête nue & le chaperon abatu.
Suivoient auflî M. l'Evêque de Paris
& d'Angers , ayant leurs mitres furplis
& chapes de velours noirs.
Puts fuivoii l'effigie du Roi en même
honneur qu'elle éroit dans la grande
(aile du Lou^vie ceiiain à la main droits
îe fceptre Royal & à la gauche la main
£Îe Juftice , portée par les porteuTs de
Tel de Paris.
Autour de ladite effigie les quatre
premiers Préfidens avec plnfieurs Con-
ieillers de la grand'Chambre & les Gar-
des Ecoflotfes arcbers du Roi.
Le ciel poifle , à fonds de drap d'oc
frifé de reiours violet cramoifi azuré ,
de fleurs de lis de broderie , les franges
de fil d'or , porté par les Prévôt des
Marchands & Echevins de la ville de
Paris.
Après vpnoît à droite M. le Sonnre
de iamt Paul, portant le bâton de grand
Maître repréfentant M. de Soiijons ^
«^rand Maître de France. A gauche étoit
M. le Chevalier de Gui/e , repréfentant
M. le Duc d'Eguillon grand Chambel-
lan portant la bannière de France , il»
étoient montés Tun & l'autre fur de
grands courllers couverts de houfTés de
velours noir croifé de latin blanc.
Marchoit après fur un petit cheval
houffé , M. le Prince de Conty portant
îe grand deuil & par-de(u]s le colier de
l'ordre , fa queue étoit portée par fep5
Gentilshommes.
Après lui (bivoit M. le Comte die
î v|
, ( 204 )
Soifjons aufîî à cheval en pareil ordre
& même deuil. Suivoit auffi M. le
Duc cîe GMife fans ordre portant même-
deuil.
Apres lui marchoit M. le Prince de
J'oinville monté à cheval avec grand
deuil & fans ordre, fuivi du Ducd'E/-
heuf à cheval en même deuil , & à\i
Duc de Mombafon en même ordre &:
deuil. Leur queue étoic portée par des
Gentilshommes de leur, fuite.
L'Huifïîer de Tordre vêtu en deuil &
chaperon rabatu , portant une baguette
noire à fa main.
Après les Princes & les Ducs vencient
Mefïïeurs les Chevaliers de l'Ordre à
pied avec leur colier par deflus leur
manteau de deuil , leur queue portée
par leur Page.
Suiroit enfuite un grand nombre dé-
Noblefle deux à deux.
Les Capitaines des quatre cens archers
de la c;arde avec leurs Enfeignes, fnivis
de tous îefdits archers en robes de deuil
& le chaperon entormé tous en robes
de deuil.
Auparavant le départ du Louvre il
y eut quelque différend entre les grands 3.
Ja Cour du Parlement & la garde Ecof-
C 20f )^
foife. Mais la Tage prévoyance de fib
Reine, fit que tour fe pafTa fans bruir.
La pompe funèbre pa(Ta dans cet or-
dre le long du Château & Quay da
Louvre, le Pont -neuf, le Qtiay des
Auguftins , le pont faint Michel , le mar-
ché neuf & delà à TEglife de Notre-
Dame , ou tout ce cortège ne fut entré
qu'à neuf heures du foir. Tous les en-
droits fur la route étoient tendus de
drap noir avec les armoiries du Roi de
celles de la Ville.
Le corps du feu Roi fut pîjfé au mîH
lieu du cœur de l'Eglife fous une cha-
pelle ardente , élevée de la hauteur de
deux piques. Le chœur étoit tendu de
drap noir & au milieu étoit une bandé
de velours, fur lefquels éroient attachés
ies armoiries Se écuiTons du Roi, La gran-
de nef, ainfî que les bas côtés étoient
égaiemenr tendus de noir'& contre cha-
cun des pilliers , il y avoit des cierges à
double rangs , 3c le foir même on die
]es Vêpres èc Vigiles des trépafles.
Le lendemain matin trente Juin , lés
Princes , Cardinaux , Seigneurs, ôc Om-
ciers de la Couronne , la Cour de Par-
lement , les Couvents , Paroi(Tes, & tous
ceux qui avoient accompagné le corgs,^
du Feu Roi le jour précédent , Ce ren Jî-
rent en ladite Eglife de Notre- Dame
fur les dix heures du matin où le (êrvice
divin fut célébré par l'Evêque de Paris.
Après rOffèrtoire l'Evêque de Hères fit
î'oraifbn funèbre, qui dura un bonne
heure. Le fervice ayant été fini à deux
heures après midi , tous les Princes »
Cardinaux, Evèques Se grands Officiers
furent diner à l'Evêché. Pendant ce tems
les premiers commencèrent à marcher
chacun dans le même ordre qu'ils avoienc
tenu le jour précédent, depuis le Lou-
vre iufqu'à Notre - Dame ; en prenant
îeur chemin par le pont Notre-Dame,
la rue faim Denis & furent ainfi fans
s'arrêter jufqu'à faint Denis.
Les rues étoient tendues de drap noir
fur lequel les armes du Roi & de !a
Ville étoient attachées , depuis l'Eglife
de Notre-Dame jufqur'à la porte faint
Denis.
Les Religieux &: Prêtres de ParoifTes,
les ConfefTeurs , les Aumôniers , Bache-
liers, Regensde rUniverfité& Doifleurs
en Théologie , chacun en leur rang ac-
compagnèrent le corps du feu Roi juC-
ques à TE^life faint Lazare , alors ils
fe retirèrent, 6c le corps du Roi ne fui
( 207 )
pîns accompagné que de toute îa Couri
du Parlement, des Princes , Ducs , Genr
tilihoninnes , Comtes &: Seigneurs, Ca-
pitaines, Gardes & Archers , & des
Prctres de rEglife de Notre - Dame >
c]ui s arrêtèrent a la croix qui pancne a
moitié du chemin de faint Denis, ou le
Prieur Se les Religieux de cette Abbaye
étoient venus pour recevoir le corps^
Les Prêtres qui croient reftés Ce retirè-
rent tous alors; & le convoi ne fut plus
compofé que des Cardinaux , Evêques ,.
Princes, Ducs, Confites, Seigneurs &
route la Cour , tant da Roi que du Par-
lement & autres Officiers , qui accom-
pagnèrent le corps jufqu'^à 1 Eglife de
faint Denis» où il Fut pofé fous une
chapelle ardente fort élevée & on chan-
ta les Vigiles des trépafTés. Alors cha-
cun fe rerira dans les logemensqui leur
avoient été marqués.
Ladite Egiife de faint Denis éroit
toute tendue de drap noir au milieu du-
quel étoit une large bande de velours
fur laquelle écoient attackées les armoi^-
ries du Roi.
Le jour fuivant la grande Mclîe fut
célébrée pat M. le Cardinal de Joyeufs.
& chantée ^ac la Mufique. Après. l'O^
rertoire, M. i'Evêque d'Angers fiî Torat-
Ton funèbre.
L'office érant achevé les prières 5r
oraifons accoutumées dires , le Maître
des cérémonies leva de deiTus le corps
du Roi la Couronne , le Sceptre & la
main de Juftice, & le drap d'or qui cou-
vroit le cercueil. Enfuite les Gentils-
hommes fervans & les archers de la
garde portèrent le corps dans la fofle
qui efl: devant le grand Autel de ladite
Eglife à main droite. Le Cardinal de
Joyeufe vint enfuite près de la folTe &
ayant jette de la terre & de Peau bénire
fur le corps , il s'afîît à côté de la folfe
du côté du grand Autel, & le Maîtse
des cérémonies en fît autant de l'autre
coré , ayant entre eux deux ury Héraut
d'armes , qui appella l'un après l'autre
les Seigneurs qui avoient porté les
pièces d'honneur , qui furent jettées dans
la forfe. Après cela M. le Comte de
faint Paut frapa du baron de grand
Maître contre terre & dit à voix balTe,
le Roi ejl mort ; enfuite le Héraut d'ar-
mes repéra par t:o5S tois , le Roi efl
mon , priei Dieu pour fon atne, Alocs
chacun fe mit à genoux.
Peu après le Comte de faint Pduî-
( i09 )
ayant repris Ton hâton prononça, Vive
lE Roi, & le Hcrauc reprenant la pa-
role eria par trois fois , Vive le Roi
Louis trei-^iéme de ce nom. Par la
grâce de Dieu , Roi de France & de
Navarre très- Chrétien ^ notre très- fou-
yerain Seigneur & bon maître ^ an-quel
Dieu doinc très-heureuje & très- longue
vie. Après cela les trompettes Se autres
inftruniens Tonnèrent une fanfare.
Les Seigneurs reprirent enfiiite les
pièces d'honneur qu'ils avoient mifes
dans lafofTe , Se les Princes & Seigneur
furent conduits dans la grande falle ou
le dîner croit préparc.
Après le repas Meilleurs de la Cour
de Parlement , de la Ciiambre des Comp-
tes, des Aides, les Généraux des Mon-
noyes, les Officiers de 1 Hôtel de ville
de Paris & autres Ce trouvèrent dans la
grande Salle, où M., le Comte de fainî
Faul tenant Ton baron à la main leur
lit une courre harangue fur la mort dti
Roi , leur offrir Tes (etvices& leur pro-
mit de les recommander à la Reine ré-
gente & au Roi pour les maintenir ea
leurs offices. Et pour montrer qu'ils en
étoient dépourvus ainfi que tous les autres
Officiers , il rompit fon bûton en leur
préfence.
( 3IO )
PRISE des fonereffes de Lepante &
Fatras fur les Turcf ^ par les Che'-
valiers de Mahhe ^ le 20, Avril 160^
Précédée d'un Sonnet au Roi Hen^
ry IK
SONNET.
TU vois, ô (rrand Henry , la force & piété
Des Mal'ois généreux , & leurs verras
très rares ,
Leur imgnanime e!Tor: ronrre les Turcs Bar-
bares :
Cela doir émouvoir les Granls, en vcrirc.
S'ils fulTent afTillez , comme il eft d'cquiré
Ces forrs fufî'enc garde?, j & les Tyrans avares ,
Souillez du fang Chrcîien , chailez jafqu'aa
Tartare ,
La gift le los * des Dieur , comble d'éternitc.
Vive ces grands Héros, dont nous voyons
la gloire.
Traverfcr l'Orienr en triomphe & victoire ,
Qui d'un zèle pieux , fans vaine ambition
Ont prorogé la foi. Et qui tient cette voye.
Il terrafTe ennemis , il vie rempli de joye ,
C'eft le laurier des tiens , c'eft la perfedîion.
* Récompenfe.
Cm ;
Depuis que rilIuftri(Tîme grand Maî-
tre de l'Ordre de fainr Jean de Hiéru-
falem • frère d'Alof de Vignacoart , a
été élevé à la grande Maîtrife , il a rou-
jours, fuivant Ton pieux naturel. Se la
profelîîon de cet ordre , eu le cccur &
refprit bandé * à l'honneur de Dieu ,
avancement & manutention de notre
fainre Foi, cherchant tous les moyens,
avec Tes forces de travailler & inquiéter
le Turc , ennemi commun de la Chré-
tienté. Pour cet effet, des h première
année de Ton Ele»5tion , il fit faccager
Château-neuf place forte en la Morée ,
dont on ramena deux cens efclaves , &
depuis au mois d'Août dernier, il a dé-
truit & ravagé la ville de Mahomet
afllfe en Barbarie, & afpirant toujours
à plus hautes entreprifes il avoir convié
quelques uns de fes voillns de l'aider de
leurs forces pour les employer cet été ^
ce qui lui avoit été promis , & néan-
moins n*en voyant l'apreil qu'aller fort
lentement , il Ce réfolnt au mois de
Mars dernier avec fes forces feules de
furprendre & ruiner les forts & Châ-
teau de Lepante & Patras , places très-
fortes , fifes à l'embouchure du Golf©
* Porte,
(211 )
de Lepante, & disantes Tune de l'aurre
d'une canonade feulement.
Mais ne voulant iéelui grand Maître
rien entreprendre qu'avec mûre délibé-
rarion , au commencement du mois d'A-
vril , Ton confeil étant aflTemblé, déclara
ce deffein. Les avis qu'il avoir de la
garde & munitions de ces Châteaux, les
voyes 6<. les moyens qu'il avoit jugé"
propres pour en venir à heureufe i{rue,
admoneftant les fieurs de Ton Confeil
d'y penfer , le tenir fecret, & eflire au-
cuns d'eux pour le bien coniiderer : ce
qu'étant rapporté à autre Confeil, il fat
arrêté d'en venir à l'exécution au plutôt.
En quoi le grand M.àtre uia de telle
diligence , que fept Avril il fît mettre à
la voile le Galion dudit Ordre, & far
icw^Iui deux cens hommes de guerres ,
deux autres Gallions (iens , avec autres
cinq cens hommes, enfemble deux Na-
vires qui fe trouvèrent alors au port
alfez bien armez , que l'on avoit pris à
la folde dudit Ordre.
Le neuvième jour dudit mois d'Avril,
il en fit de mcme de quatre Galères avec
l'armement renforcé de quatre Fré-
gates, fur lefquelles Galères & Gallions
ledit Seigneur grand Maître , avant leur
(213 ) .
parrement , monta pour vifiter fi l'ordre
"donné s'étoit effedué & exhorcer un
chacun à Ton devoir , fpécialement ceux
qui avoienc les charges, qui étoient les
fieurs Duvivier, Bailly de Lyon, aupa-
ravant Maréchal dudit ordre , pour chef
& général de terre , le fieur Cambiano
Admirai dudit Ordre , déjà auparavant
général des Galères. Le fieur Comman-
deur de Beaufotc François pour porter
Tétendart. Pour Sergens Majors les
fleurs Chevaliers Comte de Gatinare
Italien , de Potonville François , San
Lazare Efpagnol ; les fieurs Chevaliers
d'Ognou& deCremeaux François , pour
avec chacun une troupe foûtenir les
pétardiers : Le Chevalier de Campremy
François , pour planter un pétard à l'un
des Châteaux, le Capitaine Beaulaigne
pour planter l'autre.
Le vent leur dit fi à propos , que le
feiziéme fijivant , les Galères & Frégates
arrivèrent aux Ifles de Curfolary lieu du
rendez-vous , diftantes de quarante mille
de ces ForterelTes : comme aufli firent
le jour fijivant les Gallions, Navires ôc
Tartanes, fans être découverts.
Le i8. le fieur Duvivier ordonna au
Chevalier de Clairet François , d'aller U
nuit fîiîvante avec une Frégate reconnoi-
tre les fortereffes, & prendre langue,
ce qu'il fit , ramenant un Grec, qui dit,
que dans lefdits forts ôc Châteaux , il y
avoir une grodè garniTon , faifant bonne
garde , & doutoit qu'il avoient quel-
qu'avertifTernent d'une entreprilè fur
eux. Ce qui ne refroidit aucunement
les Chevaliers, ains d'un courage plus
gaillard , conflderant qu'aux choies ha-
zardeufes confifte la vertu, s'approchè-
rent , & le 19. le fieur Duvivier fit em-
barquer les gens de guerre des Gallions ,
fur les Galères & Frégates , faifant en
tout le nombre de deux cens Chevaliers,
& huit cens fol^ats, & fur la minuit ,
ayant également féparé fes forces pour
aiTàillir les deux places en même temps ,
avec deux Galères , deux Frégates &
quelques Barques de Grecs trouvez ôc
retetîus , s'approcha en terre à demie
lieue de Patras, qai eft du côté de la
Morée,où ildefcendit& fes gens, avec
lefquels ayant cheminé en bonne ordon-
nance , à trois cens pas près , fur le point
du jour fitalîèmbler le Capitaine Beau-
laigne à l'une des portes, qui étant dé-
couvert par un fentinelle donnant l'alar-
me ) ne laiiïa de paCIer outre , & aa
mépris des harquebufades , coups de
pierres & autres deffènfes par ceux de
dedans , de planter le pétard , qui joua
en forte , qu'il renverfa entièrement la-
dite porte, où foudain entra le Cheva-
lier d'Ognon avec fa troupe compofée
de foixanre , tant Chevaliers que foldats ,
comme auiïi le fieur de la Porte Gen-
tilhomme de Picardie parent dudit Sei-
gneur grand Maître , Commandant à
un efcadron , fuivis de près par le fieur
Duvivier avec le gros , trouvant renne-
mi armé & combattant opiniâtrement ,
qui ne pouvant foûtenir longuement les
efforts des nôtres , Ce retira avec le Gou-
verneur dans le dongeon , ou inconti-
nent fut planté un autre pétard, qui ne
fit ouverture que la paffée d'un homme ,
par oi\ on entra , palfant ce qu'ils ren-
contrèrent au fil de l'épée , & après un
long combat Ce rendirent maîtres de la
place , où fut à l'indant arboré au lieu
le plus éminent l'étendart vi<florieux de
cet Ordre.
Et ignorant le fieur Duvivier ce qui
s'étoit palfé à l'autre forterefle dite Le-
pante , du côté de la Grèce , y envoya
un Chevalier fur un Caicq pour en fça-
yoir nouvelles, auquel fut rapporté y
îtce fuccedé le même qu'à lui , [^a] 8t
que le Comte Gatinare, commandant
aux forces envoyées en cette part [h] 8c
au lieu duquel faifoit l'oiïîce de Sergent
Major le fieur Chevalier de Ventrolles
François, avoir ufc de tel devoir à met-
tre Tes geiis à terre, quoiqu'à plus d'une
lieue de ladite fortereiïe, qu'il y arriva
avec fa troupe en même temps que les
autres à Patras , & approché d'une des
portes , le Chevalier de Campremy y
planta le pétard qui mit cette porte par
terre, ou ne perciit point de temps le
Chevalier de Cremeaux, ayant pareille
troupe que le Chevalier d'Ognon , fuivi
de fort près par le fieur Comte de Gaf-
tinare avec le gros , repoulTant l'ennemi
qui fai(bit tête , jufqu'au milieu de la
place, où il y avoit un fort retranche-
ment bien flanqué , au moyen duquel
furent les nôtres arrêtez, qui toutes fois,
pouflez de grand courage , ne tardèrent
gueres avec échelles à gagner le haut
dudit retranchement.
L'ennemi prefle de telle façon , Cq
voulut retirer en un dongeon, mais il
fut tellement talonné , que les nôtres y
f«] Qu'ils avoient eu le même avantage,
h] En ce lieu,
entrèrent
entrèrent pelé mêle , &: furent tuez fe
GouvernearÂ: les Janiiïàires qui étoienc
demeurez.
Cec heureux fucccs tant en l'un qu*eii
l'autre de ces forts & châteaux, donna
aux nôtres !e contentement qu'il fe peut
rniaginer , qui au moyen de cette uoa-
telle portée aux villes ik pays circon^
voifins , parquelqu'uns qui s^étoiem fau-*
vez , ne demeurèrent guc-res fans fe voie
kiveitis d'un grand nombre de cavalerie
& infanterie, contre lefquels, pendant
quatre jours entiers qu'ils demeurèrent
audit lieu , ils (brtirent continuellement
à l'elcarmouche : 5c ayant fait charger
fur le Gallion dudit Ordre , & les deût
Navires foldoyez , l'artillerie au nombre
de 76. pièces , fçavoir douze de batte*
lie, deux grands canons, fept canons
pierriers , cinq demies coulevrines , C\X
baftardes , huit demis canons , & le reftç
pièces de campagne , avec trois cens
<5uatre-vingt douze efclaves , parmi lef-
quels étoit l'un des Gouverneurs, &: après
avoir auflî fait fauter les principales
tours & deffenfes par le moyen des pou-
dres trouvées en ces places , démoli &
ruine le refte.en panirent le 24. dudit
mois d'Avril , mettans les vaifTeaui
Recueil O. £
( "S 1
cliafgex de butin , tournèrent vers Maîr
iKe où ils arrivèrent le 4. Mai.
Les Galères pafTant plus outre prirent
fous les murailles de Modon deux Car-
moufalis ou Navires Turquefques, char-
gez d'environ deux mille charges de
bkd , & de vingt petites pièces de ca-
non , avec lefquelles ils furent auflî de
retour à Malthe le fept fuivant , qui
fut un fecours fort notable en la né-
ceflirc où on étoit , par le défaut des
traittes ordinaires de l'Ifle de Sicile ,
qui avoir manqué Tannée précédente en
fa fertilité accoutumée.
Les deux Gallions dudit neur Grand
Maître , la Tartane & les deux Frégates
font aufli paflees outre à bufquer 'au-
tre fortune : Dieu les ramené avec bon-
ne prife , & nous falTe la grâce , qu'à
rexemple de fi généreufes exécutions
par fi petites forces , les Princes &
Monarques Chrétiens foient efmeus de
joindre leurs armes invincibles , pour
exterminer ce barbare ennemi com-
mun, y ayant apparence infaillible que
!a Majefté divine les appelle à la ruine
d*i celui , contre lequel , de notre mé-
«noire a été en ce lieu de Lepantc ob-
( II? )
tenue une tant fignalée viéloîre, que
depuis il n'a pu remettre tant de força
enfemble : ce qu'étant , il ne faut douter
que bientôt la Morée, toute la Grèce,
Se Conftaminople roêmene foient ébran-
lées , & fi une fois (on orgueil 3c pre-
mier effort ibnt abbatus, on les verra
décbeoir, & perdre ceeur tout à coup.
Ce font Royaumes , ce font Empires
dignes des armes & de la conquelle des
grands Princes : c'eft la délivrance d'in-
nnies âmes qui fouffrent & (ont dére-
nues captives fous la tyranrye de est
tnâdèl^.
Kî;
(xio )
E PITRE.
ENfïn je vais revoir ce cabinet tranquille >.
OÙ l'Amour & les Arts ont çhorfi- ieué
azile, ' '
Je verrai ce Sopha placé fous ce Trumeau
Q,ii de mille baifers nous retraçoit l'image ,
3'habicerai l'Alcove où je rendis hommage
A la beauté fans voile , à l'Amour (ans ban-
deau , ■ : : ' ' .
Là , Zirphè Ce livroit au bonheur d^être aimée.
Là lorfque de nos ^ehs.i'ivrelTe étoit calmée
Attendant fans langueur le retour desdéfirs»
tin Amour délicat varioit nos plaifirs;
Nous lifions quelquefois ces vers pleins d'har*
monie
Où Tibulle exprimoic fon ame & fon bon-»
heur ,
Je t'adorai ,Zirphé, (bus le norn de Délie,
Dans ces vers emportes ,' lu reconnus mon
coeur, •' ';'
Que ce temps dura peil-4 De fleurs à peina
éclofes , '■ •
Le gazon de nos prés étoit entrelafFé j
Le Printemps s'annonçoit par le letour des
rofes ,
Par le Printemps Mars croit annoncé,
Pour fuivre mon devoir dans une route obf-
ciire
31 fallut te quitter î quels momens î queli
adieux !
ïe crus me fcparer de toute la nature ,
Mai5 les pleurs des ttnans ont appalfS lei
Dieux }
Lovis calme la terre ^ il aie rend à moi'
même,
Je ne vends plus mon temps aux querelles
des Rois,
Je n'obéis plus qu'à tes loir ,
Je ne fuis plus qu'i ce que j'aime r
Tous mes defirs feront les tiens ,
Tous tes plaiHrs feront les miens:
i<'un de Taucre en«hanté dans ce Vallon faiï»
Rcunis par nos goûts ; conduis moi tour-i-
four.
Du plaiûrà l'Etude . & des Arts à rAttWur j
C'eft l'ennui qui le rend" volage.
En l*amufa»« , Zirphé , nous fçaurons le fixer ,
Nous fçaurons de nos jours faire le mêm«
ufage ,
ïe ne fçais que t'aimer» viens m'apprendre i
penfer ,
MàîcrelTe de mon cceur éclaiie mon g^nie.
Soir à jamais de mes écrits,.
L« juge , l'objet & le prix.
Oublié déformais d'un mondé que j'o^Uej
Te bien peindre, te mériter.
Te carelïer & te chanter ,
?oil^ couc l'emploi ds ma vie.
%.
( iiO
L'OMBRE d'Eglé.
OOus les voiles du repos
La nuit berçoit refpérance :
La douleur dans le filence
Se calmoit fous des pavots j
Quand la more fille du crime,.
Ouvrant le fein de l'abyln-ie
Et les gouffres do néant ,
D'une vidime nouvelle
Conduific l'ombre fidelle
Au lie d'un parjure Amant.
C'eft envain qu'un Dieu facils-,
Appelle du fein des ris.
Dans une Alcôve tranquille
Endort l'heureux Sibaris ;
Au bruit que l'Enfer excire
le fommeil a pris la fuite y.
Sibaris ouvre les yeux j
Il voit une ombre éplorée ,,
îlne amante dévorée
Du fouvenir de Tes feux.
C'eft Eglé, mais de ces rofês
Où font Its traits éclatants ,
Et ces fleurs à peine ccloles
Des careflcs du printemps?
Quel Démon les a flétries ?
L'amour gémit , les furies
Ont dérobé (on flambeau.
Et leur implacable rage
Défigure Ton ouvrage
Enfermé dans un conibeauw.
Ne détourne point la vue.
S'écria la tendre Eglé,
De mon image imprévue
Ton efprit paroît troublé î'
Sibaris à mon approche ,
D'un légitime reproche
Pourroitil être abbattu ?
Il craint d'entendre ma plainte ,
Mais il outragea fans crainte
Et l'amour & la vertu.
Mes jours couloiem fans allarmês,.
Dans la candeur & la paijf }
J'ignorois encore mes charmes
Tu me vantas leurs attraits .
Ingrat, ta perfide adrefïe,
A l'aveu de ma tendrefle
Paroi (foit livrer ton cœur ,.
Et ma ieuneife imprudente
Confia fa fleur naifian te
A la foi de fon vainqueur.
Tu formois, en ma préfence».
Et des vœux & des ferments :.
Loin de moi ton inconftance
Les abandonnoit aux vents.
Tes yeux plus vifs que la flàme
Portoient le feu dans mon amej.
Hélas ! ils trompoient les miens :•
Je cedois à la nature ,
Qiiand ta Jâcheté parjure
En brifoit tous les iiçBs,
( 2i4 y
Ton Eglé n*ouvroit la bouche
Que pour chanter fon bonheur î
Pourquoi d'un mépris farouche
A-t-elle éprouvé l'horreur ?
Ta fuite entraîna les grâces.
Le plaifir quitta mes traces ,
Mon teint perdit fes couleurs^
Et je n"eus pas le courage
De détefter un volage
Qui faifbit couler mes pleurs»
Enfin la Parque inhumaine
Rompit le fil de mes jours j
Doux moment ! Ci de ma peine
Il eut terminé le cours j
Mais dans le creux de ma tombe ^
Toujours tendre, je fuccombe
A l'attrait du fentiment :
Il y porte (a lumière ,
Il s'y mêle à ma pouffrére
Et prolonge mon toitfmenc.
De cette affreufe eiiftenc*
Au fein d'une éternité ,
Malgré ton indifFcrence
N'es tu pas épouvanté ?
Fixe donc tes yeux perfides
Sur mes ofïements livides,
Confidére ce linceuil ,
Et îa longue folitude
Dont ta noire ingratitude
Enviroanrnion cèxcueil»
Cette étincelle penfanre
Qpi furvit à mon trépas ,
Aufll piîre qu'agilîanre ,
Voudroit fuivre encore tes pas j
Mais le jour fe renouvelle ,
J'entends la mort qui m'appelle ^
Reçois mes derniers adieux ,
Et louviens-toi , cœur barbare.
Que l'inftant , qui nous fépare,
E(t pour moi le plus affreux.
Cependant la jeune Aurore
Ouvroit les portes du jour ;
Zéphir charitoit près de flore
Le plaifir de fon retour.
Les fa'rttômes , les menfonges
Les iilufions des fondes
Fuyoient l'cclat de Tes feux ;
Le Dieu des Roj'aumes fonibre»
Les renferme avec les ombres.
Dans fes antres ténébreux.
Sibaris , le jour te frappe ,
Et tu n'es point raffuré !
Quel nouveau foupir t'échappe?
Ton cœur en e(L déchiré j
Tu n'es plus cet homme aimable,
Ce volage redoutable ,
Qui regnoit fur les plaifirsi,
La feule Eglé t^interelfe,
Eglé morte , eft la maîtrelTfr
Qui va fix.r tes delirs.
Bans un antre folitairr
Environné de Cyprès
Où les enfans de Cythére
Avoient fufpendu leurs traits j^
Sur un tri fie Maufolée
La nature défolée
Faifoit retentir fes cris.
Le remors faifi d'allarmes ,
Et l'amour baigné de larmes,.
Y conduifenc Sibaris*
A Ce% yeux la tombe s'ouyre ,
n appelle Eglé trois fois,
Trois fois Eglé fe découvre.
Mais elle ed foutde à fa voix.
Il fe profterne , il la touche ,
Trois fois il veut fur fa bouche
Rallumer un feu nouveaa :
C'eft en vain qu'il le defire i
La mort k frappe , il expire j
l'amour ferme le tombeau»
TABLE
DES PIECES CONTENUES
dans ce Volume*
I. PiÉcE. X\ Elathn véritable de ce
qui s*eji paQé au Procès du Maréchal
de Maiillac. pag. x
Enfuit V Arrêt donné contre le Maréchal
de Marillac. S S
IJ. Manifejle de la France aux Pari-
Jîens & a tout le peuple François,
II r. Mémoire de ce qui s'efi paffé dans
la retraite & délogement du Duc de
Parme hors de France. jk»
IV. Lettre d'un François pour la pré"
fiance du Roi de France contre le Roi
dtEf pagne. En ISÇ4- 14»
• Relations des cérémonies du facre
& couronnement de Henry IV. Roi
de France & de Navarre 2y. Février
JS94' i^J
VI. Sonnet fur le Sacre du Roi» 17S
yil* Remontrance au Roi Henry jy.
^- ^ABLE DES PIECES,
contre les blajphémateurs , par M, ^é
Lanagerie ijQP- • 178
VIII. Lettre du Koi à M, le Chancelier,
XX. Pompe funèbre de Henry le Grand
IV. du nom Roi de France & de
Navarre. Faite à Paris & à S. Denis
les 2ç. & 30. Juin 16 10. 1S7
X. Prife des forterejjes de Lepante &
Fatras fur les Turcs , par les Che-^
lier s de Malthe , le 20. Avril 1603,
Précédée d'un Sonnet au Roi Hen-
ry IV. 1 1 o
XI. £ pitre. 220
XII. VOmbre d'Eglé. ziz
Fi« ck la Table.